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Interview avec Bariza Khiari, sénatrice musulmane en France

Bariza Khiari, la première sénatrice d'origine musulmane de France (PS), parle de sa participation au Forum de Fès «Une âme pour la mondialisation» organisé en marge de la 17e édition du Festival des Musiques sacrées. Elle évoque aussi son combat pour une société française plus juste.

Le Matin : Vous participez souvent à des conférences sur le soufisme. D'où vient cet intérêt pour cette discipline ?

BARIZA Khiari : C'est plus qu'un intérêt, c'est du vécu. Je chemine avec beaucoup d'humilité dans cette voie enracinée dans la tradition prophétique. Cette voie d'initiation et d'éveil se transmet depuis le Prophète de maître en maître. De nos jours, dans un environnement opaque, dans cette pollution ambiante des esprits, nous avons plus que jamais besoin de donner du sens à ce que nous entreprenons. Le soufisme est un ''axe'' qui nous permet de nous recentrer intérieurement et mieux faire face aux sollicitations qui nous tiraillent à la surface des choses. Le soufisme s'inscrit toujours dans son temps, il est perpétué par un ''maître vivant''. Aujourd'hui, le maître de la confrérie est Sidi Hamza, ce fabuleux révélateur de l'âme. Cette voie soufie, dont la réalité se trouve au fond des êtres, dispose d'un patrimoine culturel prestigieux : littéraire, poétique, philosophique, musical, iconographique et bien évidemment spirituel. C'est la voie de la transmission par excellence et Faouzi Skalli, à l'initiative des deux festivals de Fès, tente de faire revivre pour le plus grand plaisir d'un public de plus en plus nombreux quelques traces de lumière comme ''La plainte du roseau'' de Jalal Eddine Rumi, ''La passion'' de Hallaj, ''Le traité de l'amour'' d'Ibn Arabi, ''La conférence des oiseaux'' de Attar, ''Le diwan'' de Cheikh Al Alawi, ''Les sapiences'' d'Ibn'Ata'Allah, ''Le livre des Haltes'' de l'Emir Abdelkader et bien d'autres œuvres de soufis contemporains…

Le Maroc, qui sait bien faire vivre les diversités, est plus que jamais en responsabilité pour faire connaître et surtout reconnaître cet héritage qui s'ancre dans un Islam spirituel, libre et responsable. Par la transmission de ce prodigieux héritage spirituel à travers la culture, il s'agit de tenter d'approcher la grande question métaphysique du mystère de l'existence.

Est-ce que le soufisme, ''discipline de l'Islam contestée'' notamment par les Wahhabites, peut rapprocher aujourd'hui les différentes cultures ?

Le soufisme n'est pas une discipline de l'Islam, il en est le cœur vivant. Quant à la question sur le rapprochement des différentes cultures et religions, je ne vais pas m'appesantir sur les raisons qui font que pour l'Occident, l'Islam est devenu une idéologie à combattre alors que c'est une spiritualité. Il faut opérer une ''déconstruction'' de ces idées. La voie soufie, qui est la sagesse et l'amour incarnés dans le corps de l'Islam, très loin des dogmatismes et autres fanatismes, peut bien évidemment concourir au rapprochement des cultures et religions, car comme le disait simplement Mohamed Ikqbal, éminent soufi et homme d'Etat pakistanais : «Tout ce qui monte… converge».

Quel est l'objet de votre intervention au Forum de Fès ?

Je vais évoquer une double question : la création d'un espace régional et la refondation de l'Union pour la Méditerranée au regard des nouveaux défis de la région. Je ne me résigne pas à l'absence d'un espace régional maghrébin qui dispose de potentialités énormes d'une part, et je plaiderai, d'autre part, pour la relance de l'Union pour la Méditerranée sur de nouvelles bases car le destin des deux rives est lié.

Vous dites souvent que vous êtes citoyenne française laïque, tout en revendiquant votre origine arabo-musulmane. Comment vous arrivez à vivre avec ces identités multiples ?

Il n'y a rien d'incompatible entre mon ancrage politique et mon héritage spirituel et historique. Au contraire. La citoyenneté permet d'appartenir à la cité et d'y jouer un rôle. La citoyenneté et la laïcité dessinent une matrice politique indifférente aux religions et aux origines.

Dans les faits, il est vrai que les discriminations liées aux origines existent : discrimination concernant l'emploi, le logement, les loisirs... Et les faits sont têtus. Faut-il pour autant en déduire que le modèle républicain est caduc et que la société française est xénophobe ? Non, certainement pas. Il suffit de regarder les superbes réussites de personnes venues d'ailleurs et reconnues grâce à leur seule mérite et également l'importance des mariages mixtes pour se convaincre que la société française n'est pas xénophobe.
En revanche, la société française est ''malade''. ''Malade'' à cause d'un chômage massif et persistant, ''malade'' à cause d'un pouvoir d'achat en berne. Pour la première fois depuis longtemps, les parents se disent que la vie sera plus difficile pour leurs enfants que pour eux. Ce sentiment de déclassement, largement partagé, traduit bien le grand malaise social de la France. Et comme toujours, l'étranger devient un bouc émissaire commode. Les médias tiennent un rôle considérable dans cette ''fabrique'' de préjugés. Par exemple, quand une dispute conjugale vire au drame, il s'agit d'une tragédie personnelle. Mais si cette dispute met en scène des personnes d'origine ou de sensibilité musulmane, certains médias, relayés par l'extrême-droite, en déduisent immédiatement que l'Islam est incompatible avec les principes d'égalité homme-femme et, par conséquent, avec la démocratie. Il faut travailler pour montrer des modèles positifs d'identification. Il y a encore peu de temps, ''la figure de l'étranger était le juif''. Aujourd'hui, ''la figure de l'étranger est le musulman''. Il est devenu l'ennemi intérieur uniquement pour un enjeu électoraliste. Mais dans leur très grande majorité, les citoyens ne sont pas dupes de cette manipulation et c'est rassurant.

Est-ce que la première sénatrice musulmane de France du Parti socialiste que vous êtes se sent stigmatisée par le débat sur l'Islam, la burqa, les mosquées et l'identité nationale ?

Je ne me reconnais pas dans l'expression de «sénatrice musulmane ». Je suis représentante de la nation et non d'une confession. En revanche, j'assume pleinement et avec sérénité mon histoire et ma spiritualité. J'ai un rapport très serein avec ce que je suis et d'où je viens et cela me protège. Je me définis comme Française, citoyenne française en fidélité avec la tradition qui m'a portée. Et cette identité singulière me rend sans doute vigilante à certaines questions. Ma conscience républicaine a évidemment été heurtée par la séquence burqa/hallal/minarets/identité nationale, véritable instrumentalisation politique de la religion. Cette instrumentalisation alimente malheureusement l'islamophobie et l'intégrisme. La diabolisation de l'Islam et de l'immigration est une impasse, j'ai donc pris la parole pour ceux qui ne l'ont pas.

Le combat de Bariza

Du haut de son engagement, la sénatrice décrit son combat comme suit : « La droite, depuis 10 ans, s'emploie à «racialiser» les problèmes des Français. Comme le pouvoir ne veut pas se confronter à la question sociale, il doit détourner l'attention de l'opinion. Cette stratégie est dangereuse pour notre cohésion sociale. Mon combat aujourd'hui est très simple : faire gagner la gauche. Elle reconnaît l'importance de la question sociale et propose des politiques pour répondre aux difficultés des français. La gauche sait que son devoir est de bâtir une société plus juste. Evidemment, la mondialisation et la ‘'financiarisation'' de l'économie réduisent les marges de manœuvre.

1/6/2011, Rachida Bami

Source : Le Matin

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