Le Maroc est-il son image ?

Propos vulgaires et insultants attribués récemment à un ambassadeur français¹, démentis par la suite par le quai d’Orsay; plainte contre le chef du contre-espionnage marocain en réunion importante à Paris; fouille du ministre des Affaires extérieures marocain transitant par l’aéroport de Roissy; propos racistes contre la communauté marocaine par le populiste hollandais; touriste revenant d’un séjour au Maroc et déclarant à son arrivée sur le sol français qu’elle revient à la civilisation. Il est inutile de continuer à lister ces exemples indignes.

Partout et à tous les niveaux, les Marocains ont ressenti ces insultes et agressions récentes jusqu’au plus profond de leur être. Certes, les nombreuses réactions et mises au point des politiques, de la société civile et des intellectuels marocains de la Diaspora en particulier, ont réduit les tensions et apaisé les cœurs blessés malgré tout pour longtemps par ces humiliations répétées, mais les esprits continuent de s’interroger. La raison patriotique est interpelée : c’est ainsi que l’on voit le Maroc à l’extérieur de ses frontières ? Comment dès lors expliquer une telle image mentale dans l’imaginaire collectif étranger ? Quel rapport a-t-elle avec la réalité du Maroc ? Qui cherche à ternir les relations franco-marocaines et salir l’image du Maroc ?

Nous sommes dans l’ère de l’image. Celle-ci est partout et elle tend à se substituer dans bien des cas à la réalité. Ainsi, les Nations et les Etats qui ont le plus évolué sont ceux qui ont pris très vite conscience des enjeux liés à la maîtrise de ce puissant outil de communication et de manipulation que constitue l’image. La seconde Guerre mondiale en est la parfaite illustration. La propagande a joué dans ce conflit un rôle essentiel.  Les Alliés aussi bien que les nazis ou les fascistes ont tous compris l’efficacité d’une telle arme, et l’ont chacun utilisé pour tromper l’ennemi. Et l’on sait que les guerres dites modernes ne commencent jamais par les bombes mais par le mensonge et la manipulation via l’image.

Aujourd’hui le monde n’est plus en guerre dans le sens traditionnel du terme. L’image est utilisée par les médias comme une arme redoutablement efficace. De l’affiche de  propagande en passant par la télévision, le cinéma ou la peinture, l’image remplace l’idée, fait l’opinion et peut facilement induire en erreur, manipuler les esprits.

Les Nations policées travaillent donc à soigner leur apparence. Elles travaillent à construire, entretenir et maîtriser leur image : les USA, l’Europe, La Russie, la Chine, pour ne citer qu’eux, se livrent une guerre médiatique féroce pour la constitution des blocs régionaux. Ils contrôlent absolument l’image qu’ils donnent d’eux au reste du monde. Ils veillent farouchement à ce que cette image soit perçue à l’intérieur comme à l’extérieur positivement, même si la réalité à laquelle elle renvoie est différente. L’essentiel c’est ce que l’opinion perçoit. L’essentiel c’est ce que véhicule l’image dans l’imaginaire de l’autre. Peu importe son rapport à la réalité, à la vérité, à l’humanité.  Aujourd’hui plus qu’hier, l’habit ne fait pas le moine².

Comme toute Nation fière et veillant jalousement à son honneur et à ses valeurs ancestrales, les Marocains et le Maroc doivent tenir compte de l’image qu’ils donnent d’eux et de leur patrie, notamment à travers leur télévision et leurs médias plus globalement.  Quelle place occupe donc le Maroc dans la stratégie mondialisée qui façonne discrètement mais sûrement l’Etat-Monde ? Le Maroc en est-il conscient ? Dans le règne de l’image, donc de l’apparence, le respect découle non pas de ce que l’on est réellement, mais de l’image que l’on donne de cette réalité. 

Un exemple simple parmi tant d’autres : l’histoire récente du Belge d’origine marocaine qui a été refusé à la proposition d’un emploi sous son vrai nom marocain, et qui a été accepté sous un nom belge. Ce seul exemple montre très clairement le pouvoir exercé sur l’opinion par l’image collée à une Nation, image qui peut décider du sort des hommes. Si Stromae était Marocain il n’aurait jamais eu en Belgique le succès qu’il a eu au Maroc à Mawazine en juin 2014. A quelques exceptions près. On peut citer aussi le cas des films qui montrent systématiquement les arabes (un Amazir qui s’appelle Abdellatif ou Abdellah, Mourad ou Hassan, sera toujours d’abord  perçu comme un arabe bien qu’il soit d’origine amazire) et les noirs dans des rôles secondaires ou négatifs, jusqu’à très récemment. Depuis le 11 septembre 2001³, les images de l’effondrement des deux tours américaines ont associé dans l’imaginaire collectif mondial l’Islam et les Arabes au terrorisme. Ce qui a eu pour effet d’occuper les Arabes et les Musulmans à passer leur temps à se justifier, pendant que les autres Nations progressent dans la recherche, la connaissance ou le profit creusant ainsi davantage les écarts.

La puissance et le danger de l’image comme arme de destruction des cultures et des civilisations n’est, hélas, plus à démontrer. Cette vérité doit être enseignée prioritairement aux jeunes en particulier qui sont les cibles les plus vulnérables, et au peuple. Elle doit être intégrée comme une précaution vitale par tous les Marocains conscients de l’enjeu, à savoir l’intérêt suprême de la Nation et la Patrie.

Le Maroc vaut au moins mille trois cents⁴ fois mieux que l’image que ses ennemis tentent en vain de donner de lui. Est-il besoin de le rappeler. Ses nombreux atouts historiques et naturels, son ouverture d’esprit, son élégance, sa population et sa culture diversifiées, son pragmatisme, son expertise, ses réformes politiques, économiques et sociétales, son engagement irréversible vers l’Etat de droit sous l’impulsion de SM Mohammed VI, sont sa force et font de lui un Etat de référence dans le continent africain et un allié de poids pour les puissances occidentales. Cela se vérifie quotidiennement. Ce Maroc-là mérite mille trois cent fois au moins d’être défendu et mieux positionné dans la stratégie discrète de l’Etat-Monde qui se met en place.

Tout n’est pas parfait, on le sait. Nous ne versons pas dans l’autosatisfaction et l’angélisme. Mais les efforts pour un développement durable dans un Etat de droit sont bien réels et reconnus par les experts internationaux. Ainsi, tous les Marocains, chacun à son niveau, doivent promouvoir et défendre une image patriote du Maroc : l’Etat et les représentations diplomatiques bien évidemment, mais aussi la société civile et les citoyens, juifs, chrétiens, musulmans, amazirs, arabes, andalous, saharo-hassanis, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. 

L’éducation nationale, là aussi, doit avoir les moyens pour jouer pleinement son rôle essentiel comme le lui demande sans cesse SM Mohammed VI. Il faut éduquer la jeunesse marocaine et le peuple à l’image et à sa véritable fonction. C’est une arme psychologique moderne dévastatrice. Il faut construire chez les jeunes cette conscience de l’image. Les guerres du début du XXI siècle ont été menées et gagnées par la maîtrise de l’image. Et ce n’est que le début. En témoignent les expérimentations des hologrammes dans certains aéroports internationaux et notamment à Orly en France⁵.

Les Marocains ne peuvent plus continuer à ignorer, négliger l’impact, la puissance et le pouvoir de l’image. Sauf à scier la branche sur laquelle ils sont assis, c’est-à-dire contribuer à dissoudre, et se dissoudre avec, le pays historique auquel ils s’identifient, qui les rassemble, les abrite et les protège.

Le linge sale se lave en famille.

¹ « Le Maroc est une maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux, mais qu’on doit défendre ».

² Expression d’origine latine datant du XIIIe siècle signifiant qu’il faut s’abstenir de juger par les apparences souvent trompeuses. L’mage a donc cette faculté de tromper. L’expression rappelle ainsi un fait historique : en 1297, François Grimaldi et ses compagnons d’armes se sont déguisés en moines franciscains pour s’emparer par la ruse de la forteresse bâtie sur le rocher monégasque. Ce fait est rappelé sur les armoiries de Monaco. Cette expression fait échos également au cheval de Troie utilisé par les Grecs pour détruire la cité imprenable.

³ Plusieurs vidéos publiées sur YouTube tentent de démontrer la manipulation de l’opinion publique mondiale et dénoncent un complot. On y voit notamment des images falsifiées ou censurées.

http://message-universel.info/blog/2013/09/26/11-septembre-2001-les-manipulations-mediatiques/

⁴ La Nation marocaine existe depuis 13 siècles.

⁵ Hologrammes à Paris-Orly : http://www.youtube.com/watch?v=K3ocxFgPxWA

Paris le 17/06/14 (Texte enrichi, publié une 1ère fois le 07/04/2014)

Abdellatif Chamsdine est chroniqueur enseignant, ancien professeur à ASSAS-SORBONNE et ancien professeur référent à l'ESSEC, il est également président fondateur de l'association Franco-Marocaine des 2 Rives (AFM2R)

 

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