Le week-end dernier à Bruxelles, se réunissaient à l’initiative du CCME, des “Marocaines d’ici et d’ailleurs”. Au menu de cette rencontre, une réflexion sur les moyens à adopter pour garantir aux Marocaines à l’étranger davantage d’égalité et de dignité.
Lors de ces rencontres, Driss El Yazami, Président de la communauté marocaine à l’étranger a souligné l’ampleur des discriminations dont sont victimes les femmes immigrées marocaines tout en nous rappelant que “la moitié des migrants marocains à l’étranger sont des femmes”. Selon lui, ces femmes “sont victimes de discrimination de par leur sexe et de par leur origine, y compris dans des sociétés démocratiques”.
Pour mieux comprendre les moyens de lutter contre ces discriminations en Europe, notre correspondant à Bruxelles, Thomas Van Der Straten a rencontré Anne Garspard, Directrice Générale du Réseau Européen des Organismes de promotion de l’Egalité (Equinet) et Najat Vallaud-Belkacem, adjointe au Maire de Lyon et ancienne porte-parole de Ségolène Royal et également membre du groupe de travail “Approche genre et nouvelles générations” au CCME. Najat qui est un exemple d’intégration réussie en France, avoue tout de même être “passée entre les gouttes de la discrimination”.
Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, adjointe au Maire de Lyon
Lors de votre parcours -que l’on peut qualifier d’exemplaire: une femme issue de l’immigration, parvenue à des postes à responsabilités- avez-vous été victime de discriminations ?
Je dois avoir l’honnêteté de dire que je suis passée entre les gouttes, mais mon cas n’est pas représentatif. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est au moment où j’ai commencé à faire de la politique que mes origines et ma différence ont refait surface.
Votre cas n’est pas représentatif, mais avez-vous connaissance d’exemple de discrimination?
Oui ! Récemment des salariés de l’audiovisuel public, d’origine étrangère, sont venus me voir. Plusieurs d’entre eux se sont rendus compte qu’au même poste de responsabilités, ils avaient des salaires très inférieurs à ceux de leurs collègues. Même lors de l’obtention d’une promotion, ils continuaient à être moins bien payés que la personne qui occupait le poste précédemment.
Votre exemple touche indifféremment les hommes et les femmes. Peut-on dire que, dès que l’on est issu de l’immigration, on est potentiellement victime de discrimination, peu importe son sexe?
C’est la question que l’on s’est posée pendant cette rencontre. Est-ce qu’il y a une spécificité des discriminations subies par les femmes par rapport aux discriminations subies par les hommes issus de l’immigration? C’est une question complexe.
De par mon expérience, je trouve qu’il y a beaucoup de secteurs où l’on préférera engager une femme issue de l’immigration plutôt qu’un homme issu de l’immigration. C’est pourquoi je pose systématiquement la question aux différents intervenants afin de savoir si des études plus approfondies ont été faites sur le sujet.
Bien sûr, les femmes issues de l’immigration subissent des discriminations du fait de leur genre. Comme toutes les femmes, elles sont moins bien payées que les hommes et elles sont fréquemment renvoyées quand on apprend qu’elles sont enceintes, etc. Mais qui est le plus mal loti entre les femmes issues de l’immigration et les hommes issus de l’immigration? Je ne suis pas sure que la réponse soit aussi évidente.
Si l’on prend, par exemple, le monde de la politique, il est plus facile d’être une femme d’origine étrangère car cela permet de répondre à plusieurs exigences de parité et de diversité imposées par la politique. En une seule personne vous avez les deux exigences !
Quel conseil donneriez-vous à une femme issue de l’immigration pour réussir ?
Je pense que la recherche d’autonomie est la clé de tout.
Cette recherche d’autonomie passe par quoi?
Il faut toujours avoir à l’esprit qu’il faut éviter d’être ou de devenir dépendante de quelqu’un d’autre. Être dépendante, c’est également intégrer, si l’on a la possibilité, le marché du travail. Évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire, les obstacles sont nombreux et j’en suis bien consciente.
J’aimerais également adresser un message aux mamans: si vos filles ont la possibilité de poursuivre leurs études dans une autre ville ou à l’étranger, laissez-les faire! Ce que je préconise, c’est de favoriser l’autonomie de vos filles et de les pousser à poursuivre leurs études le plus loin possible.
Entretien avec Anne Gaspard, DG du Réseau Européen des Organismes de Promotion de l’Egalité
Il a été question lors de cette conférence de discriminations envers les femmes étrangères; quels sont les mécanismes de protection mis en place en Europe?
La législation européenne s’est énormément renforcée en la matière ces dix dernières années et elle permet d’assurer une base d’égalité à tous les citoyens quelque soit leur pays d’origine. La question qui se pose à nous est: comment s’assurer que ces outils légaux de protection et de lutte contre les discriminations ne soient pas que des outils sur papier? L’existence d’Equinet (Réseau européen des organismes de promotion de l’égalité, ndlr), et d’organismes nationaux de promotion de l’égalité, permettent la mise en pratique de ces outils. Ainsi, chaque ressortissant peut donc se tourner vers son organisme national compétent en la matière (ndr: la liste se trouve sur le site web d’Equinet) et demander à ce que ses droits soient respectés.
Disposez-vous de premiers résultats de cette politique de promotion de l’égalité?
Tout à fait, le nombre de plaintes ne cesse d’augmenter d’année en année. Les organes nationaux ont d’ailleurs du mal à suivre. On peut se poser la question quant à savoir si cela est dû à l’augmentation des inégalités ou à imputer à un meilleur fonctionnement du système. Je pense pour ma part que les gens sont mieux informés et ils ont sans doute plus de courage pour dénoncer des situations d’inégalité.
Pour vous, en quoi une conférence comme “Marocaines d’ici et d’ailleurs” est nécessaire?
Des manifestations de ce genre sont essentielles. Elles permettent d’informer sur les droits et les outils qui existent pour assurer à ces femmes l’égalité et la dignité. L’autre aspect qui me semble fondamental c’est celui des réseaux qui s’organisent entre les différents organismes et associations qui existent afin de pouvoir faire face, non seulement aux discriminations qui existent, mais également à la crise économique dont les femmes, en tant que groupe vulnérable, sont les premières victimes.
Source : Aufait


