Par Abdellah CHAHBOUN (MAP)
Rien de particulièrement spécial pour un début de journée à Genève en ce mois de jeûne, hormis l’ambiance estivale envahissante qui gagne un peu plus le quotidien de la cité cosmopolite. Et même si cette année encore le Ramadan tombe en plein été avec des journées deux fois plus longues que les nuits, il n’en demeure pas moins un mois d’abstinence et d’ardeur au travail le jour et d’attachement aux racines le soir.
Pourtant, dans tout cela, c’est la coriace réalité de l’expatriation qui s’impose et distille un sournois spleen dans la vie des communautés musulmanes.
« Certes j’ai du mal à tenir la distance avec un agenda de travail souvent surbooké. Reste que le vrai malaise c’est absolument de ne pas être en famille », confie à la MAP Ahmed R., conseiller dans une organisation internationale.Cet expert en gestion commerciale et investissement dit songer chaque fois à retourner au Maroc, rien que pour y passer le mois béni. En vain à cause des strictes exigences du boulot.
« Je n’ai jamais eu pareil sentiment d’être si étranger en lieu de travail, à tel point que je me suis trouvé dans l’obligation de me faire un nouveau mode de vie en compensation du bercail de la famille », raconte-t-il en se remémorant ses balbutiements à Genève il y a un peu plus de deux ans.
Ramadan oblige, Ahmed est donc parti à la quête d’une vie sociale qu’il considère comme un rempart contre la déviation et l’aliénation autant qu’un cadre de retrouvailles dignes des souvenirs indélébiles de la patrie et de ses plus fastes soirées ramadanesques.
Dans une cité dynamique et à vocation internationale très prononcée comme Genève, le mois de jeûne est tout sauf une parenthèse festive ou une période de moindre labeur pour une communauté connue pour être des plus actives à l’étranger.
Commerçants, banquiers, fonctionnaires internationaux, ouvriers ou étudiants, ils sont des milliers à s’y installer avec pour point commun, ou presque, le fait de pouvoir faire mieux que les autres pour se tailler une place dans leurs domaines d’activité.
Il y a cependant le revers de la médaille : la réalité de la distance par rapport à la famille n’est pas sans faire des ravages en termes d’éparpillement et d’effritement de la cellule familiale, parfois lourdement payés.
Aux yeux de Fatma D., consultante juridique auprès d’un cabinet international, le passage d’une posture de stabilité familiale à un environnement de mobilité, voire d’incertitude professionnelle, est assurément coûteux sur les plans social et psychique.
« Au mois de Ramadan, l’heure est aux pires tiraillements entre la chaleur humaine qu’incarne le bled dans sa plus belle splendeur et le climat plutôt mécanique et morose du pays d’accueil », observe-t-elle non sans émotion.
Après tout, dit-elle, « c’est la nostalgie de la patrie qui prend le dessus et l’on n’a d’autre alternative que de reproduire, autant que faire se peut, le ramadan qu’on connait, aux côtés des gens qu’on arrive à découvrir de gré ou de force ». Cette année, elle compte joindre l’utile à l’agréable en passant la dernière semaine du mois du jeûne parmi la chère famille, en Alexandrie.
Fatma comme Ahmed et bien d’autres expatriés ne cachent pas leur amertume de devoir passer un énième ramadan à distance de la famille. Ironie du sort puisque c’est pour cette même famille qu’ils ont en partie pris la décision de quitter la patrie.
Fort heureusement, le Ramadan, fidèle à sa tradition de fédérateur, ne manque pas, même à Genève, de rassembler des amis de circonstance venus de divers horizons autour des généreuses tables de l’Iftar.
Maghreb Arabe Presse