Ils rejoignent ainsi la grogne qui se développe un peu partout en Allemagne contre ce coup de force des conservateurs bavarois (CSU), qui risque de freiner la socialisation des jeunes enfants. En décembre, seize organisations familiales, syndicales et religieuses ont déjà lancé une pétition contre cette « prime à la garde » de 150 euros.
Arrachée de haute lutte par la CSU à la CDU d’Angela Merkel et aux Libéraux (FDP), elle concernera les parents d’enfants de moins de 3 ans et doit entrer en vigueur en 2013, alors que les allocations familiales ont déjà été rehaussées de 20 euros en janvier.
Mais pour le Groupe des pères turcs de Neukölln, réuni tous les lundis soirs dans ce quartier pauvre du sud-est de Berlin à forte population immigrée, cette « prime au fourneau » va surtout entraver l’intégration des enfants au système scolaire.
« La socialisation est primordiale entre l’âge de 2 et 3 ans: un enfant peut apprendre 100 mots d’allemand par semaine dans un jardin d’enfants, ça fait 10.000 mots en deux ans. Comment un petit Turc de 4 ans peut-il rattraper ça s’il n’est pas allé à la Kita (crèche) ? », dit Kazim Erdogan, psychologue de 56 ans.
Pour Berkant Otto, 38 ans et père de deux enfants, « c’est une idiotie bavaroise. Peut-être que ça leur convient là-bas, mais pas ici. Il vaut mieux créer des places de Kitas! »
La CSU bavaroise, dont l’électorat est largement rural et catholique, veut certes préserver le modèle traditionnel de la mère au foyer.
Mais à dire vrai, ce modèle prévaut au-delà de la Bavière: seuls 20% des moins de 3 ans vont en crèche publique en Allemagne, soit 15% à l’ouest et 45% à l’est, où la RDA communiste a laissé des structures en héritage.
Les modes de garde font tant défaut en Allemagne que le manque contraint souvent les mères à cesser ou réduire leur activité professionnelle.
L’ancienne ministre conservatrice de la Famille, Ursula von der Leyen (CDU), qui a sept enfants, a lancé en 2007 un vaste plan pour créer des centaines de milliers de places de crèche. Objectif: accueillir 35% des enfants en bas âge d’ici 2013, date à laquelle les familles auront un droit légal à une place.
Mais la crise a vidé les caisses des communes et celles-ci ont déjà prévenu qu’elles ne pourront financer les 900.000 places nécessaires selon leurs estimations. En outre, il manquera au moins 25.000 éducateurs.
Mme von der Leyen a longtemps tenu bon contre cette prime à la garde réclamée par la CSU. Mais elle officie aujourd’hui au ministère du Travail. Et politique oblige, la chancelière Angela Merkel a lâché du lest pour contenter ses alliés bavarois. Les Libéraux, opposés à cette prime, réclament eux des bons d’achat plutôt qu’un versement en liquide…
Plusieurs études économiques dénoncent une prime qui risque de faire reculer encore l’activité des jeunes mères (Institut IW), ainsi incitées à rester chez elles, et coûter entre 1,4 et 1,9 milliard d’euros par an, au préjudice des enfants de familles défavorisées (Institut ZEW).
C’est bien la crainte des pères turcs de Neukölln. « Ce sera 150 euros mais (…) les enfants parleront mal l’allemand et beaucoup de jeunes femmes n’essaieront même plus de travailler un peu », déplore le Turc Dursun Gücel, 66 ans dont 40 passés en Allemagne, et qui formule dans un allemand trébuchant des rêves d’avenir meilleur pour ses petits-enfants.
« 150 euros pour des crayons de couleur et des livres. Ou bien pour 70 saucisses au curry ou 30 bouteilles de vodka », raille le quotidien de centre-gauche Tagesspiegel.
Source : AFP
Publié le 17.01.2010