vendredi 17 mai 2024 09:21

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Racisme au Maroc : "Oui, je me fais traiter d’esclave et de sale Noir'"

Jugée raciste par certains, provocatrice par d’autres, la une de l’hebdomadaire "Maroc Hebdo" aura au moins eu le mérite de lever le voile sur le quotidien des personnes d’origine subsaharienne vivant au Maroc.

"Le péril noir". Ce titre en une du magazine "Maroc Hebdo" publié la semaine dernière a suscité un vif débat au sein du royaume chérifien. L’hebdomadaire consacrait un dossier à l’accroissement du nombre d’immigrés issus d’Afrique subsaharienne, qui voit dans le Maroc un point de départ pour rejoindre l’Europe depuis les enclaves espagnoles de Ceuta ou Melilla. Souvent refoulés, ils restent dans le pays et se retrouvent dans des situations précaires, contraints de s’adonner à divers trafics. Ils seraient 10 000 selon le ministère de l’Intérieur, 15 000 selon la société civile.

Les immigrés subsahariens font par ailleurs face au durcissement des autorités de Rabat, lesquelles expulsent sans ménagement ceux qui n’ont pas de carte de séjour. À l’instar de l’Association marocaine des droits humains, l’ambassadeur de l’Union européenne, Eneko Landaburu, s’est récemment inquiété du traitement de ces immigrés, le qualifiant de "problématique". Et ce alors que le ministre marocain de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Abdelouahed Souhail,a désigné les immigrés subsahariens comme étant en partie responsables de la crise de l’emploi dans le pays.

L’Organisation internationale des migrations [OIM] a lancé début octobre un appel de fonds de 620 000 euros pour faciliter le retour de 1 000 migrants subsahariens clandestins.

« Je suis venu étudier l’informatique à Casablanca grâce à une bourse accordée par mon pays. Cela fait quatre ans que je suis ici, et cela fait quatre ans que je suis victime de racisme, tout le temps, à n’importe quelle occasion.

L’histoire la plus significative s’est produite à l‘aéroport. J’accompagnais ma tante qui devait embarquer pour Conakry et qui avait beaucoup de bagages. D’autres Subsahariens sont venus pour l’aider à les porter, mais le chef d’escale les en a empêchés, en nous disant qu’elle devait se débrouiller toute seule parce qu’elle était noire. J’ai protesté, et il nous a conduits à la police et un agent a commencé à m’insulter. Je lui ai répondu en arabe, et en retour il m’a frappé à la tête. J’ai dit que j’allais porter plainte et il m’a renvoyé, ironiquement : "C’est ça, va te plaindre chez le roi !". Du coup, je n’ai jamais déposé de plainte.

Quand je marche dans la rue, il est fréquent qu’on me traite de sale Noir ou d'esclave. Je me suis fait frapper plusieurs fois par des jeunes Marocains, gratuitement, et les témoins de la scène ne font jamais rien pour m’aider. Tous mes amis issus d’Afrique noire racontent la même chose, même les filles se font insulter. Maintenant, pour essayer d’éviter ça, j’essaye de ne pas répondre quand on m’interpelle, mais si on commence à me molester, qu’est-ce que je dois faire ? Il faut bien que je me défende.

Dans deux ans, j’aurai fini mes études, et je ne compte sûrement pas rester au Maroc pour travailler. Même si on me propose un emploi ici, je préfèrerais rentrer en Guinée.

"Les Marocains associent les Noirs à la précarité et cela alimente un sentiment de défiance à leur égard"

Mounir Bensalah est ingénieur à Casablanca et activisite pour les droits de l'Homme. Il a posté ce commentaire sur son blog "Contre le racisme et le' journacisme'".

« Il faut malheureusement admettre qu’on voit monter un sentiment raciste dans une partie de la population marocaine mais cela reste une minorité selon moi. J’y vois plusieurs explications.

D'une part cette immigration est récente, elle a commencé il y a 10 ou 15 ans, et donc le Maroc ne sait pas comment gérer ces questions. Ensuite, quand les immigrés sont refoulés de Ceuta ou Melilla, beaucoup essayent de s’intégrer mais ils sont peu qualifiés, vivent de petits boulots, résident dans les zones les plus populaires… Ils travaillent en fait pour gagner de quoi se repayer un passeur vers l’Europe. Les Marocains associent donc les Noirs à la précarité et cela alimente un sentiment de défiance à leur égard.

Ce sentiment est d’autant plus fort dans les villes frontalières comme Tanger, Nabor ou Oujda, car toutes sortes de trafics s’y développent : drogue, contrebande, etc... Et les Subsahariens sont souvent liés, directement ou indirectement, à ces trafics. Certaines mafias se servent d'eux pour mener des activités illégales, en échange d’un passeur. En conséquence, certains Marocains les identifient en bloc à des délinquants. Et ces préjugés sont renforcés par le comportement de la police : quand elle fait des descentes dans les camps de migrants autour de Tanger ou Oujda par exemple, elle les arrête tous d’un coup, délinquants ou pas.

"Beaucoup de Marocains sont solidaires des migrants qu’ils identifient à leurs enfants partis en Europe". Néanmoins, il ne faut pas croire que tous les Marocains sont racistes. L’association de droits humains pour laquelle je travaille est en contact avec de nombreux immigrés qui font l'objet d'un élan de solidarité de la part de certains Marocains. Beaucoup les identifient à leurs enfants partis tenter leur chance en Europe.

Pour autant, concernant la une de "Maroc Hebdo", pour moi c’est clair, elle est raciste. Mais je tiens à dire que le dossier est présenté de façon plutôt respectable : les articles posent la question du racisme des Marocains, se demandent de quoi souffrent les Subsahariens, comment ils sont arrivés là… Je crois que "Maroc Hebdo" a surtout voulu faire une racoleuse pour faire décoller ses ventes.

La situation des immigrés subsahariens résulte pour moi d’une responsabilité partagée entre le Maroc, les États d’origine des immigrés mais aussi des pays européens : je comprends que l’Europe ne veuille pas accueillir toute l’Afrique, mais il y a de tels dispositifs mis en place pour empêcher l’immigration africaine que beaucoup sont amenés à rester au Maroc dans des conditions déplorables.

6/11/2012

Source : France 24

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