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Fermer les frontières en Europe ? Cela servirait le business des passeurs

Le trafic d'êtres humains, alimenté par le trafic des migrants vers l'Union européenne, a été récemment estimé à six milliards d'euros. Un chiffre d'affaire qui va aller en augmentant, selon notre spécialiste, puisqu'avec la fermeture des frontières, les migrants vont d'autant plus se tourner vers les passeurs. Mais qui sont-ils exactement ? François Gemenne nous explique toute l'ambiguïté du terme de "passeur".

Le trafic d’êtres humains est le plus rentable au monde, après le trafic d’armes et le trafic de drogue. Et celui-ci présente l’avantage que, contrairement à ces deux derniers, si vous égarez la marchandise, vous n’avez pas de commanditaires sur le dos : si vous perdez les migrants en mer, personne ne les réclamera, hélas. 

La fermeture des frontières fait fleurir le business des passeurs

L’agence Europol vient d’estimer à six milliards d’euros la somme provenant du trafic d’être humain, dont l’essentiel est à attribuer au trafic des migrants vers l’Union européenne.

Je pense que l’on va malheureusement s’orienter vers une augmentation de ce chiffre d’affaires, puisque nous sommes manifestement dans une tendance de fermeture accrue des frontières. Plus celles-ci se fermeront et se cloisonneront, plus il deviendra indispensable pour les migrants de faire appel aux passeurs. Et donc, plus leur business pourra continuer à prospérer.

Ambiguïté du terme de passeur : du gang à l’amateur

Europol estime le nombre de passeur à 12 000… Selon moi, ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose. Tout dépend ce qu’on appelle un "passeur". En dehors des gangs de nature criminelle, qui fourrent les migrants sur des rafiots en méditerranée, il continue d’exister des personnes amatrices qui accompagnent la migration.

À Calais, par exemple, on a recensé des cas d’habitants qui acceptent de transporter des migrants dans leur voiture, moyennant quelques centaines d’euros… En Tunisie, les pêcheurs louent leur bateau contre une petite somme et accompagnent les migrants : ils connaissent les passages et les coins de démarcation.

 Les gangs, eux, sont essentiellement des réseaux opportunistes originaires d’un peu partout : Libye, Turquie… Ils viennent fournir une offre face à une demande considérable. Contrairement à d’autres réseaux, ces bandes ne trouvent pas leurs racines dans le crime organisé.

 Il s’agit d’un business que vous pouvez monter avec très peu de moyens et qui ne nécessite qu’un petit investissement initial : l’achat du bateau. Même pas besoin d’un pilote : vous pouvez confier la barre aux migrants eux-mêmes. Ils n'ont qu'à abandonner le bateau à leur arrivée. Un seul passager suffit à rentabiliser l’achat de l’embarcation. 

 Hydre de Lerne

 Les passeurs se font régulièrement arrêter. Mais la demande est telle, qu’il y a sans cesse de nouveaux réseaux qui se créent et de nouvelles routes migratoires. Comme pour tout business illégal, on retrouve des luttes d’influence et de territoire. On est face à une sorte d’Hydre de Lerne : vous coupez une tête, deux autres repoussent.

 Le prix d’une traversée en Méditerranée est extraordinairement variable, d’un peu moins de 1 000 à 6 000 euros. Tout dépend des moyens financiers du migrant ou du type d’embarcation : zodiac, vieux chalutiers, cargos parfois, qui ont été rachetés à des armateurs.

 Les effets d’annonce jouent également un grand rôle dans la fluctuation des prix. Lorsqu’un dispositif de contrôle est sur le point d’être renforcé ou qu’une route migratoire va être bloquée, les prix peuvent chuter instantanément : les passeurs essaient alors d’envoyer un dernier convoi de migrants par ce passage, avant d’ouvrir une nouvelle route migratoire.

 Pour étouffer le business des passeurs : la voie aérienne

 Tant qu’il n’y aura pas d’évolution politique sur ce dossier, l’Europe continuera elle-même à créer les conditions du business des passeurs.

 Il n’y a qu’une solution pour étouffer ce marché fructueux : rétablir des voies de passage sures vers l’Union européenne pour les réfugiés et les migrants, en les faisant venir en avion. De cette manière seulement, ils n’auront plus besoin de prendre ces embarcations de fortune et de recourir aux passeurs – gangs ou pas.

 25-02-2016, François Gemenne  ( Chercheur)- Propos recueillis parJulia Mourri

Source : nouvelobs.com

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