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Leftah pur soufre à paraître le 6 janvier prochain

Ce roman posthume de Mohamed Leftah, son onzième ouvrage, Le dernier combat du Captain Ni’mat est un grand livre de feu et de cendre, un mélange perturbant de mélancolie et de jubilation. L’écrivain décédé au Caire le 20 juillet 2008 raconte une passion détruisant la respectabilité et la vie de couple d’un homme qui va se changer en un renégat heureux. Sa propre audace le libère. Un roman sans retenue comme le destin même du capitaine Ni’mat dont toutes les croyances anciennes sont dévastées à moins qu’éclairées tandis que la plume de Leftah agit en sismographe du désir, du plaisir et mieux encore, de l’étrange volupté qu’il y a à se considérer enfin libre.

La prose de Leftah se fait naturellement poème. La langueur et la stupeur, l’attrait et le dédain, tout nous est signifié avec une adresse de voltigeur. L’effroi, l’effraction, le déni et aussi bien le fatum, l’abandon, l’extase, la désertion hors de soi, la reconnaissance de l’individualité, tout cela, Leftah le suggère et le dessine avec parfois un humour inattendu dont l’efficacité s’avère bientôt cruelle.

Plus on avance dans la lecture de ce roman tout simplement magnifique qu’est Le dernier combat du Captain Ni’mat, plus se renforce la conviction que Mohamed Leftah demeure le meilleur écrivain marocain de langue française, ce qui était l’avis même de celui qui fut son professeur, le regretté Edmond Amran El Maleh. Avec son seul roman égyptien, Leftah nous donne un livre d’une force et d’une audace inégalables.

Bien évidemment, puisque c’est la marque même du talent de l’auteur de Demoiselles de Numidie (éd. de l’Aube, 1992 et La Différence, 2006), on est saisi à la lecture du Dernier combat du Captain Ni’mat par l’extraordinaire sûreté de la langue, la grâce de l’expression, la subtilité de la composition. Et comme dans ses meilleurs livres, Mohamed Leftah impressionne par une étonnante capacité d’empathie à l’égard des protagonistes de la fable qu’il déroule : une soie dangereuse. Ce roman est l’histoire du soi enfoui et que l’auteur fouaille.

L’éditeur a choisi d’entourer l’ouvrage d’une bande rouge sur laquelle on lit les mots «Leftah pur soufre». Pour une fois, une affirmation dont l’intention est, en somme, publicitaire se révèle absolument exacte. La charge transgressive de ce roman posthume de Leftah est peut-être supérieure à celle, jamais de peu de poids, que l’on a pu noter dans ses livres précédents.

Le capitaine Ni’mat affirme, dans son journal intime, avoir rencontré «un visage singulier de l’amour, qui (lui) permet aujourd’hui de dénouer les bandelettes de cette momie qu’(il) portait en (lui) sans le savoir, et d’évacuer hors de (lui) son cadavre empuanti» : Cette momie ? «Oui, le cadavre d’une virilité qui n’est plus chez nous que pulsion de domination et de mort».

Et Ni’mat de célébrer : «Ô cet acmé d’une double jouissance» lors qu’il parvint «à inspirer, sinon l’amour, le désir à un jeune et radieux adolescent».

Le réserviste sexagénaire est l’époux de Mervet, qui l’appelait «mon faucon». La soudaine passion de Ni’mat pour son jeune domestique nubien est contée par Leftah avec un luxe de détails dont on écrirait, si l’on était vulgaire, qu’ils laisseront la plupart des lecteurs «sur le c…» ! Ces morceaux de bravoure participent de la liberté intrépide dont Mohamed Leftah a toujours fait preuve, aussi bien dans ses évocations de l’hétérosexualité que de l’homosexualité, dès Demoiselles de Numidie.

Ce qui frappe, c’est l’intelligence, la sensibilité et surtout la virtuosité de son tour de romancier ici, de nouvelliste ailleurs.

Il faut bien admettre qu’en comparaison du Dernier combat du Captain Ni’mat, l’homoérotisme que diffusent comme un encens l’Armée du salut ou Une mélancolie arabe de Abdellah Taia semble soudain pâle. Le soufre de Mohamed Leftah s’appelle amour de la vie, résistance à ce qui l’entrave, dénonciation luxueuse de l’autorité injuste et de la violence aveugle sur autrui comme sur soi-même dans la langue radieuse de celui qui aura été, sans doute, le plus moderne des écrivains marocains et digne d’être considéré comme un classique. Tout à la fois pathétique et triomphal, Le Dernier combat du Captain Ni’mat est un roman dont la publication sera tenue bientôt comme un moment majeur dans la liberté de raconter et l’on ne serait pas surpris si ce livre stupéfiant était appelé à une renommée universelle.

16 novembre 2010

Source : Le Soir

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