dimanche 19 mai 2024 23:40
mercredi, 08 mai 2024 20:48

Abdelkader Retnani, l’homme livres Spécial

Nous voilà donc au premier salon du livre sans toi l’ami. Comme nous avons été privés de ta présence il y a quelques semaines à Oujda, à la quatrième édition du salon maghrébin du livre, une manifestation que tu n’avais jamais ratée. Nous ne te verrons donc plus courir les allées du salon, saluant tes amis, tes auteurs et les confrères, debout sur ton stand, toujours debout, sauf quelques fois l’année dernière, lorsque la maladie a commencé à t’assaillir. Debout donc sur le stand de la Croisée des chemins, offrant des livres à tour de bras et commentant tes toutes dernières parutions. Enthousiaste et infatigable. Curieux et inventif, disponible à tous et à toutes les aventures éditoriales.

C’est probablement maintenant que tu es parti que les uns et les autres mesureront le vide que tu laisses et le rôle, unique, que tu jouais à la frontière de différents mondes et de plusieurs générations. Entrepreneur et lecteur, militant associatif et formidable avocat du livre. Un fin et malicieux artisan du plaidoyer pour l’édition auprès de chaque nouveau ministre de la Culture. On avait parfois l’impression Si Abdelkader que tu avais pris rendez-vous avec le nouveau titulaire du département avant même la composition du gouvernement. Et à chaque fois, comme toutes les autres fois, tu remettais sur le métier ton ouvrage et reprenais ta plaidoirie pour le livre et la lecture. Avec toujours un certain succès auprès des officiels. Si certains jalousaient cette énergie et le savoir-faire, j’admirais pour ma part l’adresse de l’artiste.

Nous nous sommes connus mon cher Si Abdelkader assez tardivement, en 2007 ou en 2008 si mon souvenir est bon, et nous sommes devenus au fil des ans partenaires et amis. Tu as ainsi publié plus d’une soixantaine d’ouvrages avec le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). A la source de ce compagnonnage, il y avait l’intérêt partagé pour le livre et la lecture et la conviction commune qu’il ne saurait y avoir de développement sans grandes ambitions culturelles. Mais il n’y avait pas que cela.

J’admirais aussi ton ardeur citoyenne. La vie publique était à tes yeux l’affaire de tous, d’où tes multiples engagements dans le monde sportif, bien connu, dans l’organisation de la profession, tâche plus ardue et tes efforts pour développer la présence des éditeurs marocains dans les grandes foires européennes et africaines. Ce goût du monde n’était pas la moindre de tes qualités. Je te revois, toujours debout bien évidemment, à Genève en 2012, à Paris en 2017 et à Bruxelles en 2020, au Pavillon du Maroc qui était ces années l’invité d’honneur des salons du livre des trois capitales. Comme tu étais aussi présent aux salons du livre du Caire en 2017 et du Québec en 2018, où le Maroc était à l’honneur. Tu rêvais comme d’autres amis que le Royaume soit, un jour, l’invité d’honneur du salon du livre de Francfort.

Comme j’aimais te voir dans tes bureaux, au milieu de ton équipe, jeune et largement féminisée, interpellant ses membres à tour de rôle, m’emmenant découvrir la progression de la maquette de l’une ou de l’autre et passant, sans l’air d’y toucher, le flambeau. Tu étais un maître aussi.

Il restera ces images de tes derniers mois avec nous. Chez toi assis dans ton salon ou dans ton lit à l’hôpital, alors que la maladie redoublait de férocité, parlant encore et toujours, passionnément comme de coutume, de projets d’édition et des livres à venir. Je n’oublierais jamais ce sentiment de fierté que l’on décelait chez toi à la clinique peu de temps avant ton départ lorsque tu as reçu la dernière version de la maquette d’un beau livre pour donner le « bon à tirer » . Comme à chaque livre, tu étais attentif au texte bien sûr, mais aussi à la « titraille », à la photo, à la couverture, … et tu demandais modestement, toi le professionnel éprouvé, conseil. J’avais suggéré d’enlever une photo et tu avais gentiment suivi cet avis. L’homme de la belle besogne.

Il restera le souvenir des deux derniers livres réalisés ensemble dans le bonheur : la publication de la version arabe et française des Indésirables, le roman graphique de Aomar Boum paru à l’origine en anglais, et le bouclage en un temps record du beau livre sur l’épopée des Lions de l’Atlas au mondial du Qatar. Nous étions allés le vendredi 24 mars 2023 à la retraite de l’équipe nationale près de Tanger, à la veille du match – et de la victoire- contre la séleçao du Brésil. Que tu étais fier d’offrir un exemplaire à chaque joueur et à chaque membre de l’équipe technique. Tu avais tenu de faire le portrait de ces derniers à l’égal des footballeurs connus et reconnus. Les deux ouvrages ont été présentés au dernier salon du livre, portés par ta passion et ta résilience.

Il restera la mémoire de ces repas partagés, tes conseils des bonnes tables casablancaises.

Tu es parti mon ami, mais ton legs est là pour nous dire et dire aux générations suivantes quel a été ton apport : des centaines de livres édités, une maison toujours vaillante, la Croisée des chemins, ton beau parcours dans le monde du football avec l’équipe du RAJA, la création avec Neila Tazi de la Fédération des industries culturelles et créatives en 2017, une de tes dernières œuvres et tant d’autres traces. Tu resteras dans le cœur de ton épouse, de tes enfants, de leurs conjoints et de tes petits-enfants, et dans nos cœurs à tous, les membres de ton équipe, tes auteurs et ces centaines d’inconsolables ami.e.s, qui vont arpenter les allées de ce salon du livre, en se remémorant les moments intenses passés ensemble, les rêves qui ont abouti et ceux restés à l’état de projets. Ils vont marcher parmi les milliers de livres présentés, se réunir, discuter en s’attendant à te voir surgir puis se rappelleront que tu es parti et se consoleront, peut-être, en feuilletant un livre, ou en l’achetant pour le lire ou l’offrir et …ainsi te retrouver.

Driss El Yazami
Rabat, le 6 mai 2024

Lu 162 fois Dernière modification le jeudi, 09 mai 2024 18:16
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