vendredi 17 mai 2024 11:05

1954, Larbi Ben Barek entre France et Afrique du Nord

À quelques jours de la « Toussaint rouge » qui lance la Guerre d’Algérie, les Bleus rencontrent une équipe d’Afrique du Nord avec la star Larbi Ben Barek dans ses rangs : tout un symbole !

Programmée au profit des sinistrés du terrible tremblement de terre qui a ravagé la région d'Orléansville en Algérie en septembre 1954, la rencontre qui se déroule au Parc des Princes quelques semaines plus tard, le 7 octobre, n'est pas d'un grand intérêt sportif. Il s'agit d'une opposition entre l'équipe de France et une sélection régionale, celle d'Afrique du Nord : ce type de rencontre amicale, à la fois galop d'essai pour les Tricolores et occasion de se mettre en valeur pour les joueurs des équipes considérées comme « réserves », est encore fréquent dans les années cinquante. À la suite de la confrontation, si certains « provinciaux » donnent satisfaction, ils peuvent espérer intégrer la grande équipe des Bleus.

Étrangement, le célèbre Larbi Ben Barek se trouve dans cette situation : à bientôt 40 ans, la « perle noire » originaire du Maroc qui avait débuté avant guerre en équipe nationale, vient de relancer sa carrière en dents de scie en signant à l'Olympique de Marseille. Il est en pleine forme. Avec le soutien passionné du public qui adore son talent et de son sens du spectacle, Larbi Ben Barek ne cache pas son envie de rejouer chez les Bleus pour le match de prestige programmé le 16 octobre face à l'Allemagne toute récente championne du monde en guise d'inauguration du stade flambant neuf de Hanovre. Mais les nouveaux sélectionneurs d'une équipe de France alors au creux de la vague, Pierre Pibarot et Paul Wartel sont sceptiques : Larbi Ben Barek est trop vieux, sa carrière est terminée et de plus il n'entre pas dans les plans tactiques fondés sur un strict WM que le joueur olympien ne saura pas respecter. Mais, sous la pression des amateurs de football, ils offrent toutefois à Larbi Ben Barek la possibilité de faire ses preuves au sein de la sélection Nord-Africaine (voir son portrait dans la série Champions de France. Ils ont gagné pour la France depuis plus d’un siècle, diffusé sur France Télévisions le 3 octobre 2015, avec la voix de Firmine Richard, sur le site http://www.seriechampionsdefrance.com/#!larbi-ben-barek/c1hbr).

Promu capitaine, il emmène une brillante équipe de joueurs algériens, tunisiens ou marocains qui évoluent tous dans des clubs de l'élite en métropole comme le Monégasque Mustapha Zitouni, le Troyen Abdelaziz Ben Tifour ou le Parisien Abderrahman Majhoub. En Face, les Bleus alignent notamment dans les cages le Sochalien François Remetter, l'arrière central rémois Robert Jonquet, le Niçois Joseph Ujlaki et le Toulousain René Derreudre au milieu du terrain et le Lillois Jean Vincent et le Rémois Raymond Kopa comme duo d'attaque.

Incroyable ! La sélection d'Afrique du Nord surclasse une pâle équipe de France dans un Parc des Prince médusé. Dès la 3e minute le souple et nerveux inter droit de l'OGC Nice Mohammed Abdelrazzak ouvre le score avant que Larbi Ben Barek, intenable malgré son âge, ne double la mise à la 25e minute par un but plein d'intelligence. L'équipe de France est à la peine et bien que sérieuse, elle ne parvient pas à imposer son jeu face à une équipe qui lui est à l'évidence supérieure dans tous les compartiments du jeu. Après avoir encaissé un but par René Derreudre, les Nord-Africains poursuivent leur marche en avant et portent le score à 3-1 sur une nouvelle percée de Mohammed Abdelrrazak et ce n'est pas le penalty litigieux transformé dans les dernières minutes par Joseph Ujlaki qui change le sens de la rencontre.

L'Afrique du Nord est plus forte que la France : c'est ce que l'on entend dans les tribunes, puis ce qu'on lit dans la presse. La victoire inquiète les amateurs de football de l'Hexagone et fait sensation au Maghreb, saluée discrètement par différents milieux indépendantistes.

À trois semaines des attentats de la « Toussaint rouge », le 1er novembre 1954 marquant le début de la guerre d'Algérie, la rencontre prend rétrospectivement une dimension particulière. Si aucune allusion politique n'entoure le match dont la vocation reste d'abord philanthropique, la victoire impensable de la sélection Nord-Africaine est prémonitoire : elle anticipe le processus de décolonisation qui touche douloureusement la France pour les huit années à venir jusqu'aux accords d'Evian en 1962.

Pendant le conflit, le football a servi de symbole pour certains mouvements indépendantistes à l'image du FLN qui, en 1958 constitue clandestinement à Tunis une équipe « nationale » de footballeurs algériens dont la plupart évoluent en France. Parmi ceux-ci Mustapha Zitouni ou Abdelaziz Ben Tifour étaient déjà présents au Parc des Princes ce 7 octobre 1954.

À l'issue du match, les sélectionneurs, déroutés et craignant le ridicule, révisent leur position et modifient leur stratégie pour le match amical d'Hanovre. Ils sélectionnent et titularisent Larbi Ben Barek pour ce qui sera sa dernière apparition sous le maillot tricolore. Un petit miracle se produit alors, la France l'emporte 3 buts à 1 devant 90.000 personnes : l'équipe de la Coupe du monde 1958 prend forme peu à peu. Aucun de ces Algériens ne sera présent, étant repartis dans l’équipe du FLN, ni Larbi Ben Barek qui avait mis fin à sa carrière exceptionnelle.

Yvan Gastaut

 

Source : achac.com

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