mercredi 15 mai 2024 08:19

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Le gouvernement américain reçoit des fonds privés pour favoriser les arrestations d'immigrants

1,6 million d'expulsions au cours des 6 dernières années, tous les records battus pour le seul mois de Juin 2012, et des annonces trompeuses de régularisation pour séduire l'électorat hispanique. Mais derrière ces chiffres se cachent des réalités encore plus surprenantes. Ainsi, la chasse aux immigrants est financée par des compagnies privées qui font fortune en obtenant la gestion des centres de détention.
Le 20 juillet dernier, une jeune femme de 26 ans se rend au port d'Everglades, en Floride, l'un des plus grands ports régionaux pour le tourisme et le commerce international, où la surveillance est omniprésente. Elle n'a pas de papiers d'identité en règle et sait qu'elle va se faire arrêter par les agents des douanes, comme des dizaines l'ont été au cours des dernières semaines. Mais elle est militante de l'Alliance Nationale pour la Jeunesse Immigrante, et par cette action, elle a souhaité attirer l'attention sur la situation de près d'un millions d'enfants d'immigrés illégaux arrivés avec leurs parents aux Etats-Unis et condamnés à une vie sans identité. Depuis, elle est incarcérée au Broward Transitional Center, le centre de rétention géré par les services de l'immigration à Pompano Beach. Viridiana Martinez est arrivée aux Etats-Unis à l'âge de sept ans. Elle a poursuivit et achevé ses études secondaires dans un lycée américain. Elle a passé ses 19 dernières années à éviter soigneusement tout contact avec la police, à faire des petits boulots payés au noir une fois sortie du lycée, à vivre sans compte en banque, sans assurance santé, sans sécurité sociale, bloquée dans un pays dont elle ne pouvait pas sortir sans se faire interpeller ni rester sans vivre dans la peur. Viridiana est l'une de ces nombreux Dreamer's, ainsi qu'on les surnomme en référence au Dream Act, cette loi serpent de mer qui a été mille fois débattue au Congrès américain depuis son introduction en 2010, rejetée plusieurs fois jusqu'à ce que l'Etat de Californie ouvre une brèche considérable en Juillet 2011 en passant son propre Dream Act, suivi par l'Etat de l'Illinois en Août.
Des régularisations qui n'en sont pas
Le 15 juin dernier, Barack Obama annonçait que son administration cesserait d'expulser les jeunes immigrants illégaux répondant à des critères précis:
-Etre âgé de moins de 30 ans
-Etre arrivé aux Etats-Unis avant l'âge de 16 ans
-N'avoir commis aucun délit et ne pas poser de problèmes de sécurité pour le pays
-Avoir réussi un cycle d'études ou avoir servi dans l'armée
La chaîne CNN commentait sitôt après l'annonce: « Le revirement sur la question politiquement volatile de la politique de l'immigration a immédiatement soulevé les louanges des dirigeants latino-américains qui avaient critiqué le Congrès et la Maison Blanche pour leur inaction, tandis que les Républicains ont réagi avec indignation, disant que le changement équivaut à une amnistie - un buzz négatif chez les conservateurs - et usurpe l'autorité du Congrès. »
Toutefois, dans le memo que Janet Napolitano, la Secrétaire d'Etat à la Sécurité intérieure des Etats-Unis a émis le même jour que l'annonce du président sur la question, il est précisé que les candidats éligibles au nouveau dispositifs bénéficieraient en réalité d'un report de deux ans de leur expulsion.
Après l'euphorie, la peur
L'annonce surprise de Barack Obama a suscité d'immenses espoirs dans la communauté hispanique américaine où l'on comptait en 2009 environ 4 millions de personnes non documentées. Surtout, elle a résonné comme un coup d'arrêt possible à la plus grande vague d'expulsion jamais organisée par une administration américaine. Mais l'euphorie n'a pas tardé à s'estomper.
Dans son édition du 30 Juillet, le magazine Forbes écrit en effet:
« L'administration Obama a jusqu'ici expulsé plus de personnes que pendant les six premiers années et demi de l'administration de George W. Bush. Un peu plus d'un million et demi d'immigrants non autorisés ont été expulsés de force des États-Unis sous la direction de Mme Napolitano. Ces chiffres d'expulsion annuels sont plus élevés qu'à n'importe quel autre moment dans l'histoire des États-Unis, poussant le carnet de commandes pour les cas d'expulsion à un niveau record de 314 147 ce mois de Juin. Le gouvernement appréhende les immigrés irréguliers si rapidement qu'il ne peut pas les traiter efficacement tous. »
Arrêtés et expulsés pour défaut de permis de conduire
A travers le pays, la plupart des organisations de droits de l'homme, d'aide juridique et de très nombreux spécialistes de l'immigration ont fortement incité les candidats potentiels à la régularisation à ne surtout pas se faire connaître des services d'immigration. En effet, le précédent créé l'an dernier par ce que l'on appelle le Memo Morton a déjà constitué une douche froide pour les imprudents.
Danielle Beach-Oswald, qui dirige l'un des grands cabinets d'avocats spécialisés dans l'immigration à Washington et plaide devant les plus hautes cours du pays, écrit sur son blog le 2 août:
« Un an après la note de Morton sur l'opportunité des poursuites, qui visait à donner la priorité au renvoi des criminels lorsqu'il s'agit de décider quels immigrants illégaux il s'agit d'expulser, l'accumulation des affaires dans les tribunaux d'immigration atteint de nouveaux sommets. Dans un article récent publié par le Texas Tribune, l'auteur Julian Aguilar s'exprime au nom des avocats spécialisés en immigration au Texas au sujet du gouvernement qui ne suit pas sa directive visant à rendre les expulsions plus efficaces. En dépit des chiffres que le gouvernement fait valoir, ceux-ci ne disent pas toute l'histoire. »
Revenant sur la question des 314 147 cas d'expulsions programmées en Juin 2012, l'avocate relève:
« Les données montrent également que dans seulement 7,9% des affaires en cours devant les tribunaux d'immigration, l'ICE (l'agence en charge de la sécurité aux frontières et des douanes au sein du Secrétariat d'Etat à la Sécurité intérieure, NDA) a demandé le renvoi fondé sur des activités criminelles commises par des individus, ainsi que des activités mettant en danger la sécurité nationale ou de nature à aider le terrorisme. Ainsi, le reste de l'arriéré comprend les cas où des individus ont été accusés de violation des règles d'immigration tels que l'entrée aux États-Unis illégalement, le dépassement de validité d'un visa, et le fait de ne pas s'être conformés à d'autres exigences procédurales. »
L'impossible choix des jeunes illégaux
Mais le problème est encore plus particulier quant il s'agit des enfants d'immigrés illégaux. En effet, bien qu'en théorie, les personnes éligibles puissent se présenter dans les centres d'immigration à partir du 15 Août munies des documents prouvant qu'ils répondent bien aux critères nécessaires pour obtenir le report de leur expulsion pour une durée de deux ans, leur démarche tient un peu de la lotterie. Une seule erreur et c'est l'arrestation. Or, en raison du niveau jamais atteint dans les tribunaux du pays qui à l'heure actuelle sont saisis d'un demi-million d'appels des procédures d'expulsions, plus d'un tribunal sur deux a décidé de refuser l'étude de ces dossiers et les expulsions se font dans de nombreux cas sans que les sujets concernés ne puissent obtenir une audience devant un juge de l'immigration. Danielle Beach-Oswald indique par exemple à ce sujet:
« Les dates d'audience de nombreux tribunaux, par exemple à Arlington (Virginie), sont repoussées à aussi loin que 2015, ce qui signifie une attente de plus de trois ans dans les limbes pour des familles en attente de secours. » Trois ans durant lesquelles celles-ci peuvent être expulsées à tout moment.
C'est pourquoi le recours à un avocat de l'immigration est plus qu'une précaution, une quasi-obligation, avant de prendre le risque de se démasquer devant un agent ICE.
Le problème est que cela coûte cher. Le seul coût pour déposer son dossier est déjà de 465 dollars. Le quotidien USA Today a publié ce samedi une enquête dans laquelle il évoque des honoraires moyens de 1700 dollars pour un avocat. Le journaliste Alan Gomez cite l'une des représentantes de la New York Coalition pour l'Immigration, Jacqueline Esposito, qui explique:
« Beaucoup craignent que le gouvernement n'utilise le programme pour identifier et capturer les parents qui sont des immigrants illégaux. »
Une situation qui suscite une psychose parmi les candidats éligibles et un choix cornélien: mettre en danger le reste de leur famille en espérant obtenir leur sésame pour bénéficier de deux ans de légalité aux Etats-Unis et ce, sans connaître l'issue finale qui sera donnée à leur dossier, ou prendre le risque qu'une alternance politique ne referme la possibilité qui leur est offerte.
Aux difficultés financières s'ajoutent donc le peu de crédit que l'on peut faire à l'administration de l'immigration aux Etats-Unis, étant donné des pratiques qui ne confèrent officiellement aucun droit aux candidats à l'immigration et multiplie au rythme de dizaines par an les fameux "memo" qui se contredisent tous les uns les autres.
Des centres de rétention sans droits élémentaires
Vidéo: Arrestations à Chicago peu avant l'expulsion d'illégaux depuis l'aéroport d'Ohare International
Depuis son internement au centre de rétention de Pompano Beach, Viridiana Martinez est parvenue à entrer en contact avec l'organisation humanitaire Democracy Now! pour livrer son témoignage sur ce qu'elle peut y voir. Elle explique ainsi, en s'exprimant au nom du groupe de défense auquel elle appartient:
« Nous avons retrouvé des dizaines d'immigrants qui devraient être relâchés en vertu des politiques de l'administration Obama. Plus de 60 détenus sans casier judiciaire, dont certains ont été détenus en tant que passagers dans des véhicules (ce cas précis est répandu aux Etats-Unis: il s'agit d'arrestations d'immigrants non documentés qui n'ayant pas la possibilité de passer leur permis de conduire font du stop sur les routes pour se rendre au travail, NDA). On a également trouvé des détenus nécessitant des soins médicaux immédiats. En dépit d'une action de l'exécutif annoncé par le président Obama le mois dernier pour arrêter les expulsions de nombreux jeunes sans-papiers, nous avons trouvé plus d'une douzaine de jeunes détenus qui seraient admissibles au DREAM Act. Les responsables de l'administration Obama avait promis de faire le tri parmi toutes les expulsions en attente afin que ces immigrés sans casier judiciaire et ayant des liens familiaux forts soient libérés, mais en Juillet, moins de 2% des cas d'expulsion ont été abandonnés. »
Le témoignage de Viridiana prend un tour plus personnel lorsqu'elle décrit les conditions de rétention:
« La nourriture est dégoûtante. Si vous êtes malade (inaudible) comme Norma Ramirez, qui a trois filles d'un citoyen américain, et qui est ici depuis le 7 mai. Elle a été dépouillée. Elle a eu quelques problèmes, vous savez, avec ses règles, et elle a dû être transféré à l'hôpital et a dû subir une chirurgie. Et la façon dont elle m'a dit que les officiers l'ont traitée. Ils se moquaient d'elle. Ils ont ri de la raison pour laquelle elle a été malade et a dû subir une intervention chirurgicale. Et j'ai aussi parlé à un autre des filles ici qui a le diabète. Et chaque fois qu'elle descend pour faire vérifier ses taux, on lui dit toujours : «Pourquoi vos niveaux sont-ils si élevés?" Elle dit: "Ils me crient dessus, mais tout ce que je peux dire, c'est: « Eh bien, pourquoi votre nourriture est-elle si mauvaise? " Parce qu'elle mange essentiellement la même chose que nous mangeons tous, à l'exception du pain. Et ils lui disent, vous savez, "Vous êtes lentement en train de vous tuer ici. Vous allez avoir besoin d'une greffe de rein quand vous sortirez, vous le savez, si vous êtes encore en vie." Et elle dit: «Pourquoi me dites-vous cela ? (...) Qu'est-ce que je suis censé faire? Oui, je suis en train de mourir ici, à cause de votre nourriture sucrée et parce que votre traitement est mauvais. »
Viridiana dénombre environ 75 filles et 400 à 600 hommes, « de sorte que nous sommes confinées dans un couloir, au fond ».
Une immigration légale en voie de destruction
« Il ya un mythe persistant selon lequel le président Obama est en train de systématiquement démolir le contrôle de l'immigration. » « Mais », ajoute t-il, « en réalité, le président Obama a en fait accru lois sur l'immigration et restreint l'immigration légale. »
Le journaliste cite le juriste Matthew Kolken, de Buffalo (New York):
« Tout gens admissibles à un report de leur expulsion en vertu de l'annonce d'Obama en Juin étaient déjà éligibles au titre du memo Morton. Mais depuis le memo Morton, le pouvoir discrétionnaire de poursuites n'a été appliqué que pour 1,9% de tous les cas d'expulsions, et il est difficile d'être optimiste quant à la tentative la plus récente d'Obama pour endiguer les déportations des jeunes immigrants du Dream Act. L'inertie bureaucratique du DHS pourrait retarder le traitement des reports des années. »
« En outre, écrit Kolken, Obama a rendu l'immigration légale plus difficile. Il a supervisé une augmentation des frais de visas H-1B (65 000 visas de ce type sont alloués chaque année à des travailleurs présentant une haute qualification et bénéficiant d'une offre d'embauche par un employeur américain, NDA) pour les entreprises, les vérifications des employeurs à distance, les raids surprises, plus les règlements et les frais accumulés pour les visas de travail temporaires agricoles, des amendes et des arrestations pour les chefs d'entreprises qui enfreignent la réglementation de l'emploi d'immigrés, et il propose maintenant des règlements pour rendre la demande de visas de travail hautement qualifiés encore plus coûteuse. »
Il faut savoir qu'en moyenne, l'obtention d'un visa H1-B par un employeur américain coûte entre 7000 et 10 000 dollars. Ce visa d'une durée de trois ans est en théorie reconductible une fois mais les exigences lors du renouvellement sont encore plus élevées. Par ailleurs, le visa H1B est défini par la loi américaine comme un visa dit de "dual intent", c'est à dire qu'il ouvre la possibilité à l'employé de demander l'obtention d'une carte verte à travers son employeurs au bout de quelques années. Or, en pratique, cela s'avère impossible dans la plupart des cas.
« Le mythe d'un Obama pro-immigrant a de quoi laisser perplexe et le rapport FAIR (le dernier rapport de la Fédération Américaine pour l'Immigration en Amérique, qui évoque l'assouplissement des conditions d'immigration par l'administration Obama, NDA) est un fantasme où le haut est en bas, la gauche est à droite, et où Obama n'est pas le Déportateur-en-Chef (on appelle aux Etats-Unis "déportations" les expulsions, NDA) »
Une politique du chiffre... et du gain
Jamais il n'a été si difficile d'immigrer aux Etats-Unis, plus inconfortable d'y travailler ou d'y résider, plus facile d'en être expulsé ou de ne pouvoir y revenir même à l'issue d'un simple voyage d'agrément. Mais ce marasme dissimule des réalités plus inquiétantes encore. Par exemple, le boom économique créé par l'explosion du nombre de détention des immigrés. Ainsi, le USA Today, associant son enquête à celle de l'Agence Associated Press, a publié jeudi une enquête sur l'utilisation comme main d'oeuvre des immigrants en attente d'expulsion.
Le quotidien écrit:
« Les Etats-Unis enferment plus d'immigrants illégaux que jamais, générant des profits lucratifs pour les entreprises du pays. »
Il décrit ainsi la situation:
« Après une décennie d'expansion, le système privé tentaculaire gère des centres de détention partout, d'une banlieue de Denver à une zone industrielle de l'aéroport de Newark, et est largement contrôlé par seulement trois sociétés. La croissance est loin d'être terminée, en dépit de la chute à pic de l'immigration clandestine ces dernières années. En 2011, près de la moitié des lits dans le système national de la détention civile étaient situés dans des établissements privés sous surveillance fédérale, contre seulement 10% il y a dix ans. Ce changement radical vers un système privatisé s'est passé tranquillement. Alors que le Congrès a fait les manchettes pour ses « efforts infructueux visant à réformer les lois d'immigration », les négociations des législateurs visant à stimuler l'économie de la détention a reçu beaucoup moins d'attention. »
Ainsi, le géant privé des services correctionnels, Corporation of America, a donné 45 millions de dollars en dons de campagne, à des lobbyistes au gouvernement fédéral dans la dernière décennie. L'année dernière, la société CCA a récolté 162 millions de dollars de bénéfice net. Les contrats fédéraux représentaient 43% de ses recettes totales, en partie grâce à l'augmentation de la détention d'immigrants. GEO, qui cite l'agence d'immigration comme son plus important client, a vu son bénéfice net passer de 16,9 millions de dollars à $ 78,6 millions depuis 2000.
CCA a mis en garde dans la présentation de ses revenus annuels 2011 que des changements de la politique fédérale sur l'immigration clandestine pourrait affecter le nombre de personnes arrêtées, ce qui pourrait réduire la demande pour les installations correctionnelles afin de les héberger.
Illustration: le centre de détention privé NorthWest
Le Centre de détention de l'immigration NorthWest est un établissement pénitentiaire privé situé à Tacoma, Washington. Ouvert en 2004 en vertu d'un contrat avec le US Department of Homeland Security, ses propriétaires ont changé au fil du temps. L'installation est maintenant détenue par le groupe GEO qui exploite des installations de prison en Australie, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, aux États-Unis et à Guantanamo Bay, à Cuba.
5/8/2012, Stephane Trano
Source : Marianne

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