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Quand la langue se fait musique

Temps forts du festival Moussem, vendredi. Autour de Mahmoud Darwich. En écho au chanteur Moneim Adwan, le récitant Taha Adnan. Rencontre.

Ten years of the best art from the arab world" ! Dans le cadre du 10e anniversaire du festival Moussem, deux concerts d’une rare intensité se sont succédé au Palais des Beaux-Arts vendredi soir. Le premier, dans la série Musique et Poésie, plongeait dans l’univers du poète palestinien Mahmoud Darwich, le "céleste pourchassé" (1941-2008), avec, côté musique, un quatuor de feu, emmené par le chanteur, compositeur et oudiste Moneim Adwan, et, côté texte, Taha Adnan, récitant.

La rencontre fut de celles qui marquent : la poésie de Darwich se révèle aussi prenante dans le chant de Moneim Adwan que dans les lectures ferventes de Taha Adnan (grâce aux surtitres, nous sommes tous arabes), délicatement accompagnée par les musiciens ; ceux-ci, généralement agents doubles des traditions classiques arabe et occidentale, évoluent sur la ligne frontière entre l’improvisation et l’écriture - notamment celle de Moneim Adwan, très élaborée -, avec un engagement et une virtuosité portant l’ensemble au cœur d’un authentique processus créatif ; enfin, leur énergie à tous est de celles qui réveillent, ouvrent les sens et l’esprit, en un mot : "enthousiasment". Ces gens-là sont chez eux, et, grâce à eux, nous aussi.

On n’en dira pas autant des chanteurs de Graindelavoix (renforcé par deux chanteurs de tradition byzantine et deux chanteurs de tradition soufie) dont le concert, consacré à la tradition vocale de la Cappella Palatine de Palerme au XIIe siècle et donné dans le Hall Horta (façon basilique) donna une démonstration édifiante de la différence entre l’historique et le traditionnel : si la reconstitution des lointaines musiques italo-grecques de Messine, ou normando-siciliennes de Madrid, toutes de forme modale sur fond d’organum, ne manque pas d’intérêt, la vie en est singulièrement absente. Par contre, qu’intervienne une sourate (!) ou un malouf tunisien, et voilà que la vie reprend, circule ; de mémoire, le chanteur chante sa propre affaire ; et sans rien y comprendre (pas de surtitre cette fois) le public reconnaît ce qu’il reçoit.

Poète, écrivain, journaliste, Taha Adnan est aussi actif dans l’organisation du festival Moussem : nous l’avons rencontré quelques jours avant le concert. Natif de Marrakech (Maroc) où il fit une licence en économie, il poursuivit ses études à Bruxelles où il est établi depuis vingt ans : "Arabe et berbère, africain, andalou, marocain et bruxellois, je suis tout cela à la fois (rire). Ma vision des choses sera donc pluraliste, et mon engagement toujours dicté par la force artistique qui se dégage d’un projet. À l’origine, le festival Moussem - terme qui signifie "rendez-vous", avec une connotation spirituelle - ressemblait à une fête de quartier, orientée "immigration", avec un mélange d’activités économiques, artistiques et culturelles. Ça se passait à Berchem, au Centre nomade des arts ; mais il était évident que nous devions investir de grands lieux de culture". Dont acte : en 2005, le festival Moussem connaît sa première édition à Bruxelles et compte désormais le Bozar comme un partenaire de premier rang.

Quant à Mahmoud Darwich : "C’est un immense artiste, dont on a dit qu’"il a raconté la Palestine en poésie". Il a représenté mon premier contact avec la poésie "contemporaine", plus directe et plus accessible que la poésie classique qu’on apprend à l’école". Une poésie polémique ? "Mahmoud Darvich fut un militant de l’OLP dont le génie fut de faire évoluer son écriture vers des thèmes universels. C’est le poète arabe le plus lu dans le monde ; de son vivant, il a connu une immense popularité, par le contenu de ses poèmes mais aussi par sa façon de les dire. Ce qui rend ma tâche très lourde pour le spectacle de vendredi, mais je dois simplement me dire que Mahmoud Darwich est inimitable "

Comment Taha Adnan voit-il l’avenir de l’"intégration" de la communauté maghrébine et plus largement musulmane à Bruxelles ? "Je n’aime pas le mot "intégration", je préfère le mot "reconnaissance". Nous avons à travailler ensemble sur le "commun", c’est-à-dire l’universel, et là, l’art et, par extension, le culturel sont essentiels. La culture, c’est l’investissement pour l’espoir : elle seule peut combattre les préjugés et échapper aux simplismes."

Festival Moussem, Bruxelles, jusqu’au 4 décembre - www.moussem.be

Concert Moneim Adwan, avec le Concerto Soave et Maria Cristina Kiehr, le 2 décembre à la Bijloke, Gand - www.debijloke.be

29/11/2010

Source : Lalibre.be

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