dimanche 12 mai 2024 20:26

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Karim Troussi, un artiste en constant questionnement.

Karim Troussi est metteur en scène, pédagogue et coach artistique. Son destin, il l’a forgé à travers son travail d’artiste et ses rencontres avec des figures telles que Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Sotigui Kouyaté, Daniel Mesguich ou encore Jack Garfein. Il a, à son actif, une vingtaine de mises en scène.

Grand artiste de la scène chez « Corps- jeux- perception » à Grenoble, Karim Troussi se tourne résolument aujourd’hui vers l’international. Il anime ainsi des stages et participe à divers projets d’échange culturel au Togo, en Allemagne, en Roumanie, en Chine, au Brésil et au Maroc. François Rancillac, metteur en scène, et directeur du Théâtre de l’Aquarium, installé à La Cartoucherie de Vincennes parle de lui comme d’un artiste qui « questionne tout le temps son travail ». Entretien :

De Meknès, votre terre d’origine à Grenoble, quel a été votre parcours artistique ?

Au Maroc, l’essentiel de mon temps était partagé entre les études et le sport. En 1983, j’ai commencé à faire du théâtre au lycée à Meknès tout en intégrant le conservatoire de danse. Par la suite j’ai rejoint la troupe de théâtre franco-marocaine du Centre Culturel Français avec laquelle j’ai joué plusieurs pièces. C’est avec eux que j’ai pu venir, pour la première fois, à Avignon en 1987 pour jouer le spectacle ‘Poivre de Cayenne’ de R. Obaldia.

Ensuite j’ai choisi de m’installer à Paris où je me suis inscrit à l’Ecole de la rue Blanche. Mais, faute de moyens financiers, je me suis rapidement mis à écumer les premiers cours gratuits d’une quarantaine d’écoles privées. J’ai fini par intégrer une école de comédiens mise en place par Niels Arestrup sur Paris. Dans cette école, j’ai travaillé avec Niels Arestrup, Maurice Benichou, Hans Peter Cloos, Pierre Pradinas et François Cluzet. Puis, j’ai été admis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris où j’ai suivi les cours de Daniel Mesguich, Mario Gonzales et beaucoup d’autres… Finalement, je me suis tourné vers la mise en scène en suivant une formation auprès de Jack Garfein…

J’ai ensuite commencé à travailler en tant que comédien et metteur en scène tout en continuant à me former dans d’autres domaines. J’ai fait mes premiers pas dans le monde de la pédagogie professionnelle à l’école d’acrobatie « Projection », fondée avec des amis pédagogues.

Enrichi de toutes ces expériences, j’ai collaboré activement pendant 8 ans au développement d’un lieu de recherche, de création et de transmission en Auvergne. C’est dans ce lieu que j’ai pu développer plusieurs formations et concepts nouveaux. Parmi ceux-ci, une action centrée sur la pédagogie artistique du cirque, le spectacle et le nomadisme.

Qu’est le théâtre pour vous ?

Pour moi, le théâtre est un espace de rêverie, un lieu où le fond et la forme s’associent pour devenir vecteurs de dialogue. Il faut souvent passer par le théâtre pour que certaines idées et messages puissent être entendus. Pour moi le théâtre est tout simplement vital.

Metteur en scène, pédagogue et coach ? Est-ce pour vous une complémentarité ou une hiérarchie artistique ?

Je dirais plutôt qu’il s’agit des différentes déclinaisons de ce qui me constitue. Jean Cocteau disait « je saute de branche en branche mais toujours dans le même arbre. » Je me retrouve bien dans cette phrase. Pour moi, chacune de mes casquettes est une branche du tronc qui me porte. Que j’intervienne en tant que metteur en scène, pédagogue ou coach, j’essaie toujours de faire en sorte de bien distinguer mes rôles. Mais cela n’empêche pas, au contraire, l’interdépendance. Mon activité de metteur en scène nourrit mon activité de coach et de pédagogue et inversement.

Autour de la trilogie « corps, jeux, perception » vous développez en tant que pédagogue un travail sur la sensibilité corporelle de l’acteur. Comment cela se passe-t-il ?

C’est avant tout une randonnée dans le pays des sens ; pour jouer avec eux ou les déjouer, pour aller vers une rencontre sincère avec soi et les partenaires de jeu (acteurs, public). C’est un lieu où l'infime banalité peut devenir une expérience extraordinaire (par exemple, un travail sur le regard peut nous amener à un saut périlleux). Tout au long de ce cheminement, je prends une position de « passeur / pisteur », battant des sentiers inconnus pour mener l’autre vers des parts inexplorées de lui-même.

Trouver dans chaque acte une nouvelle liberté et, dans chaque mot, la poésie du langage. Amener le créateur à conscientiser l’espace, à définir son rapport à l’autre et à la scène… Le but de ce travail n’est pas de rendre les choses évidentes mais de mettre le doigt sur les réponses toutes faites pour, à chaque fois, remotiver le questionnement ; passant, selon les situations, à la mise en place d’un projet personnel ou à une pratique corporelle (individuelle ou collective). Il s’agit de répondre aux besoins individuels de chacun en mettant le poète (celui qui a la possibilité de rendre sensible ce qu’il ressent, perçoit, observe...) au centre de tout ; c’est-à-dire en proposant à l’acteur des clefs après avoir cerné ses besoins et ses manques, mais sans jamais passer les portes pour lui.

Vous êtes un chantre de la culture nomade. Peut-on être, à la fois, originel et universel ?

Ariane Mnouchkine a dit : « cherchez le petit pour trouver le grand. » C’est exactement ce que j’essaie de faire dans mon travail, en allant au plus local pour atteindre l’universel. A mon avis, c’est en fouillant l’origine des choses que l’on porte le mieux leur universalité. Aucune culture n’est fermée sur elle-même. Au contraire, c’est en allant à la rencontre des cultures qu’on se rend compte des interconnexions existant entre elles.

Vous admirez « Hmadcha » et « Issawa ». Vous les avez découvert à Paris. Or vous êtes originaire de Meknès, ville connue pour ses moussems, celui de Sidi Ali Ben Hamdouche ou de Cheikh El Kamel El Hadi Benaïssa. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette découverte de ces confréries?

Vous savez, parfois il faut savoir prendre de la distance pour mieux comprendre les choses. C’est justement en m’éloignant de ma culture d’origine que j’ai pu la redécouvrir et ce que j’en ai tiré est inestimable… Philosophiquement, au-delà de l’aspect mystique, je suis très proche de la pensée soufie et, entre autres, de son processus de pensée qui s’appuie sur la parabole. Pédagogiquement, je trouve que, pour le travail du corps, ces confréries ont beaucoup à nous apprendre. Par exemple, concernant le rapport au sol et au déséquilibre rythmique des « Hmadcha » ou le travail de respiration des « Alamiynes ». C’est une belle source pour développer des outils de travail artistique.

Vos projets en cours ?

Actuellement, j’ai les pieds sur les deux rives car je travaille sur deux spectacles franco-marocains. Je me prépare à la reprise d’ « Oedipiades » de Driss Ksikès qui se fera à Oujda, fin janvier 2012, puis au théâtre L’Heure Bleue en France en mars 2012. Et je monte, avec Amal Ayouch, une adaptation du roman « La Civilisation, ma mère ! »... de Driss Chraïbi qui se jouera en 2012 dans toutes sortes de lieux insolites (entre autres, des salles de classe). J’accompagne aussi le groupe de musique français Babylon Circus dans son processus de création pour son prochain album. Et, à côté de cela, bien sûr, je continue la pédagogie en donnant des stages et mon travail de coach.

19/10/2011, Fouzia Benyoub

Source : Portail des Marocains du monde

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