Dix élus franciliens d’origine maghrébine vont puiser aux Etats-Unis des idées exportables.
La conquête de l’Amérique avant celle du pouvoir ? Dix élus franciliens se présentant comme issus de la diversité participent à un voyage aux Etats-Unis du 11 au 18 juillet. Au programme, des rencontres avec les maires de Washington et de Baltimore, deux des plus grandes villes américaines dirigées par des Noirs américains, ainsi qu’avec le conseiller de Barack Obama en charge des questions de communauté. Les élus français, pour la plupart conseillers municipaux, doivent également s’entretenir avec des chercheurs et des acteurs socio-économiques.
Ils analyseront les programmes mis en place par les entreprises et les pouvoirs publics favorisant l’ascension sociale de personnes issues des minorités afro-américaines ou latinos.
Il s’agit de «s’inspirer des bonnes pratiques pour faire avancer la question de la diversité en France», explique Kamel Hamza, conseiller municipal UMP à La Courneuve et président fondateur de l’Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld), dont sont membres les participants au séjour. Créée en 2009, dans la foulée de l’élection de Barack Obama, l’Aneld, forte de 200 adhérents, entend faire changer les mentalités françaises en améliorant la représentation des élus d’origine étrangère. C’est le second voyage de cette association au pays de l’oncle Sam après une première virée pédagogique en 2009, financée par l’ambassade américaine. Cette fois, c’est la French-American Foundation, oeuvrant au rapprochement transatlantique, qui a pris en charge une partie du séjour et contribué au programme, chaque élu complétant à hauteur de 1 000 euros.
«Aveugle». «Il y a soixante ans entre Rosa Park [grande figure du mouvement des droits civiques, ndlr] et Obama. Les accords d’Evian ont été signés il y a cinquante ans et un Algérien est toujours soupçonné de cacher un moudjahidin. En France, la diversité reste un gros mot, on a peur du communautarisme», s’agace Kamel Hamza. Eric Keslassy, sociologue qui a consacré plusieurs ouvrages à la diversité partage ce constat d’un modèle français républicain, «aveugle aux couleurs». Quand on fait remarquer au président de l’Aneld que les dix participants au voyage d’étude sont exclusivement d’origine maghrébine, il assure le regretter et fait part de «difficultés à créer une union des
communautés».
Si le but de la visite est de trouver de nouveaux outils, Kamel Hamza a déjà une idée précise de ce qui marche. «Il faut autoriser les statistiques ethniques et mettre en place des quotas expérimentaux au moins à titre provisoire.» Y compris et peut-être même d’abord en politique. «On a essayé les symboles mais ce n’est pas suffisant. On ne peut plus se contenter de quelques exceptions qui servent de cautions», lance-t-il. A ses yeux, la discrimination positive n’entrave en rien le modèle républicain : «On peut être Français d’origine maghrébine ou Français et musulman. L’essentiel est de pouvoir assumer ce que l’on est. Aujourd’hui, dans les quartiers, on se retrouve avec des jeunes qui se sentent apatrides. L’opinion française doit arrêter de considérer les enfants de la diversité comme une menace.»
désir. La radicalité du discours peut sembler en porte-à-faux avec sa fonction d’attaché parlementaire du très droitier Eric Raoult, thuriféraire de l’identité nationale. Kamel Hamza rétorque que la délégation comprend des élus de gauche comme de droite. «Tous les partis sont prêts à signer des chartes mais pas à placer quelqu’un issu de la diversité en tête de liste», analyse celui qui confesse son désir de devenir un jour maire ou député. Il estime aussi qu’«en matière de diversité, la droite a beaucoup plus agi qu’une gauche convaincue que c’est déjà acquis».
élections. Eric Keslassy nuance : «En 2007, la droite a promu des cas individuels selon une logique libérale et méritocratique mais elle semble avoir renoncé. De son côté, la gauche privilégie une logique de groupe en soutenant notamment un non-cumul des mandats mais cela se traduit très peu sur le plan national»,analyse-t-il. Le sociologue note par ailleurs une différence entre les élections locales, où l’on observe une progression lente mais continue, et les élections nationales, où la représentation des minorités reste infime. Un tel voyage d’étude peut-il contribuer à faire évoluer la situation ? Eric Keslassy en doute : «Ça peut faire prendre conscience des différences entre les deux pays mais les modèles n’ont rien à voir et ne sont pas transposables.» Selon lui, «ce qui est notable, c’est que les Américains s’intéressent à un domaine laissé vacant par les pouvoirs publics français».
12/7/2011, Marwan Chahine
Source : Libération