vendredi 3 mai 2024 10:54

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La double nationalité aux portes au Cameroun

De façon générale, chaque État détermine la nationalité et la nationalité multiple de ses ressortissants par sa législation et à travers des principes spécifiques liés à son histoire et à la nature de ses relations avec les autres pays.

Parler des questions de nationalité exige donc qu’il faille tenir compte non seulement des intérêts des individus, mais aussi de ceux, légitimes, des États. En ce qui a trait aux intérêts des individus, un ensemble de questions s’imposent: Pourquoi un ressortissant camerounais résidant à l’étranger cesse-t-il d’être Camerounais pour avoir acquis la nationalité d’un autre pays? Pourquoi les enfants des Camerounais de la diaspora ne sont-ils pas considérés dans la constitution comme Camerounais? Pourquoi n’y a-t-il pas des lois qui encadrent la nationalité camerounaise des femmes d’origine camerounaise ayant épousé des étrangers et ayant pris la nationalité de leurs époux respectifs? Ces questions permettent de jeter un regard critique sur les formes de discrimination dont sont victimes des millions de Camerounais qui ont pris le chemin de l’exil.

Comme on le voit, la question de la double nationalité au Cameroun pose le problème de la discrimination faite à l’égard des hommes lorsqu’ils ne sont pas autorisés à voter, à l’égard de leurs enfants naturels, en particulier de ceux nés à l’étranger, lorsque leurs parents ne sont pas autorisés à leur transmettre leur nationalité camerounaise d’origine, et à l’égard des femmes lorsque celles-ci perdent leur nationalité en épousant un étranger.

Cette discrimination faite aux Camerounais de la diaspora est le prolongement d’une politique d’exclusion mise sur pied depuis les soulèvements populaires de 1992, laquelle a trouvé un cadre légal dans la constitution très controversée en 1996, une constitution promulguée sans consultation référendaire qui a fait de l’exacerbation du sentiment tribal négatif (autochtone/allogène) un mode de gouvernance. Depuis la promulgation de cette constitution, les Camerounais ne se sentent plus chez eux partout au Cameroun. Lorsqu’ils voyagent d’une province à l’autre, ils savent qu’ils vont à l’étranger, puisque leur loi fondamentale prévoit de les considérer, à leur arrivée dans la nouvelle province, comme des allogènes et, surtout, de protéger les autochtones considérés alors comme minoritaires. Cette ségrégation ethnique, cet apartheid tribal dont la loi fondamentale est la garante, nuit à l’unité nationale, détruit l’intégration nationale acquise de haute lutte et traduit le type de système politique sous lequel croupissent les Camerounais: Une dictature aveugle qui tire son énergie de l’exclusion sociale et politique des communautés ethniques.

Lorsque, pour ces raisons liées à la discrimination et à l’exclusion, ces Camerounais se retrouvent en exil, comment peuvent-ils s’attendre à un octroi facile de la double nationalité? Il n’y a pas lieu d’y croire, car ceci signifierait, pour ce gouvernement RDPC au pouvoir, la négation de son propre système d’exclusion qui a poussé ces citoyens à l’exil.

Pourtant, depuis 1982, les Camerounais épiloguent sur les membres du régime qui auraient la double nationalité (franco-camerounaise, américano-camerounaise, etc.) pour se protéger en bondissant dans les chancelleries occidentales en cas d’une éventuelle guerre civile que leur gestion calamiteuse des biens publics aurait occasionnée. Du point de vue du peuple qui grogne sa colère depuis trente ans, la double nationalité est donc un privilège des gouvernants, un bouclier que ceux-ci ne peuvent se permettre de vulgariser, au risque de se retrouver dans ces chancelleries avec les damnés qu’ils ont usés et abusés.

D’un autre côté, dans les coulisses du pouvoir à Yaoundé, il se murmure qu’on ne peut pas être Camerounais et Allemand, Camerounais et Australien à la fois, puisque l’une des nationalités l’emporte toujours. À Étoudi et sur la colline parlementaire de Ngoa Ekellé, on se fait à l’idée que la double nationalité permet simplement à certains d’échapper aux lois arbitraires et contraignantes qui cimentent la mauvaise gouvernance en faisant d’eux des supercitoyens ayant plus de droits que ceux qui n’ont qu’une seule nationalité. Si tel est réellement le cas, si c’est en raison de cela que la double nationalité n’est pas reconnue par la constitution, alors des enquêtes devraient être menées par des commissions spéciales pour identifier les hauts fonctionnaires et les cadres du pouvoir soupçonnés d’avoir la double nationalité, au nom du principe de l’égalité de tous devant la loi.

Au demeurant, si la loi fondamentale du Cameroun, au lieu de mettre l’accent sur l’opposition Autochtone/Allogène, le mettait plutôt sur l’obligation de parler plusieurs langues nationales, les langues de plusieurs ethnies camerounaises, et insistait ipso facto sur les avantages à avoir une double ethnicité ou une ethnicité camerounaise multiple, le Bamiléké se sentirait Bassa, le Béti se sentirait Tikar, le Toupouri se sentirait Sawa, le francophone se sentirait anglophone et la question de la double nationalité ne se poserait plus: les Camerounais de l’étranger n’obtiendraient alors leur double nationalité que de façon évidente, puisque les conditions culturelles et structurelles de la pratique de la multiethnicité inscrites dans la constitution se transposeraient facilement dans la pratique de la multinationalité.

Vu sous cet angle, lorsqu’on prive un citoyen camerounais vivant à l’étranger du droit à la double nationalité, simplement parce qu’il a pris une autre nationalité, c’est un droit légitime naturel et inaliénable qu’on lui enlève. Japonais, Américains, les dragons de l’Est et les pays de l’UE l’ont compris en adoptant des lois qui facilitent l’acquisition de la double nationalité des nationaux vivant à l’étranger. Ici, un constat s’impose: Ces pays, qui ont émergé, ont des régimes démocratiques, c’est-à-dire des régimes qui mettent le citoyen au centre de leur action, lui rendent compte, lui laissent un vaste champ de possibilités afin qu’il décide de l’avenir de la nation, puisqu’il est le peuple à qui revient le pouvoir réel de décision. Ce pouvoir de décision du citoyen réside dans le droit de vote. Et l’octroi de la double nationalité implique l’acquisition de ce droit fondamental.

Voilà donc finalement ce qui fait frémir le pouvoir de Yaoundé. Ce qui le fait frémir, ce n’est pas d’octroyer la double nationalité aux Camerounais de la diaspora. Ce dont il a peur, c’est de voir ceux-ci détenir le droit de vote par le simple fait de l’acquisition de la double nationalité. Car les Camerounais de la diaspora ne voteraient pas pour des raisons alimentaires; ils voteraient pour les candidats qui les auraient convaincus par la qualité de leurs programmes politiques et les valeurs morales qu’ils incarnent. Le régime RDPC n’a donc pas intérêt à leur octroyer ce droit de vote au travers de l’acceptation de leur double nationalité. Il en résulte que ce refus discriminatoire, qui place les Camerounais de la diaspora loin du centre de l’action gouvernementale, permet en même temps de les contrôler de trois façons:

La première: Ils sont nés au Cameroun de parents, grands-parents et arrière-grands-parents Camerounais, mais ils sont exilés et détiennent la nationalité camerounaise. De retour au Cameroun, ils n’ont pas, comme tous les autres Camerounais, le droit à la parole : ils ne peuvent pas critiquer le système ou organiser une marche pacifique sans subir la foudre de la brutalité policière. Ils seront arrêtés et enfermés, et personne de l’étranger ne viendra les y sortir au risque d’être accusé d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain.

La deuxième: Ils sont nés au Cameroun de parents, grands-parents et arrière-grands-parents Camerounais, mais sont exilés. En exil, ils ont fait le choix de prendre de multiples citoyennetés. Dans ce deuxième cas, une fois retournés au Cameroun, ils n’ont pas le droit à la parole non plus. Car, ils ne sont plus Camerounais, ils sont considérés comme des touristes. Avant de se rendre au Cameroun, ils ont d’ailleurs l’obligation de faire une demande de visa à l’ambassade du Cameroun à l’étranger, des visas en bonne et due forme qui témoignent de ce qu’ils sont véritablement des touristes, c’est-à-dire des étrangers chez eux au Cameroun. Ainsi, le droit à la parole en termes d’organisation des manifestations publiques et de critique du système dans le but d’éduquer la masse à l’expression démocratique n’est plus accessible à ces Camerounais qui, considérés comme des étrangers, courent le risque d’être expulsés au même motif d’ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain.

La troisième: Si la double ou nationalité multiple existait, alors les Camerounais vivant en exil auraient à la fois la lance et le bouclier. Leur nationalité camerounaise leur confèrerait la lance, et ils s’élanceraient au niveau optimum de la liberté d’expression une fois arrivés au Cameroun car, en même temps, l’État policier ne pourra ni les expulser (puisqu’ils sont Camerounais) ni les emprisonner puisqu’ils auront de comptes à rendre au pays étranger dont ils sont citoyens par adoption. Décréter la double nationalité devient alors un casse-tête pour cet État dictatorial du Cameroun.

On comprend finalement pourquoi les pays démocratiques permettent à leurs citoyens d’avoir la double nationalité. Il s’agit de donner à ceux-ci un espace plus large de liberté d’expression, démontrant par ce fait même que la nationalité multiple est l’un des instruments de mesure du niveau de démocratisation d’un pays. En plaçant le citoyen de la diaspora au centre de l’action gouvernementale, la double nationalité lui donne la possibilité de vivre son appartenance au territoire national en toute sécurité, de participer à la vie démocratique de son pays en exerçant son droit de vote, d’avoir une compréhension positive de ses rapports avec l’État de justice et de bâtir la terre de ses ancêtres avec abnégation.

Au regard de tout ce qui précède, il est urgent, que dans le processus de démocratisation qui a embrasé les pays à la chute du mur de Berlin, s’est éteint avant de se rallumer à l’occasion des révolutions arabes en cours, l’Assemblée nationale camerounaise diligente une étude de la légalisation de la double nationalité visant le développement économique et l’égalité de tous les Camerounais devant la loi. Au demeurant, ce n’est que pour des raisons purement économiques que les Camerounais de la diaspora adoptent la nationalité du pays d’accueil dans la perspective d’aider leurs familles de façon décisive. Pourquoi le régime de Yaoundé ne cesserait-il pas de dribbler les citoyens de la diaspora en légalisant la double nationalité afin de leur permettre de transformer l’aide aux familles en contribution décisive au développement durable de la nation?

Dr. Maurice Nguepe

Source : Cameroun online

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