samedi 12 octobre 2024 22:11

Les MRE et la face cachée de la lune

Dans quelques jours, la transhumance des marocains de l’étranger reprend le trajet  inverse. Larmes, tristesse et spectre de l’exil feront office d’épilogue d’un psychodrame propre au sentiment de déracinement.

Chacun va reprendre le chemin du retour vers la réalité de toujours : la rentrée scolaire, les piles de courriers anxiogènes et les factures impayées. Le retour vers la dure réalité de la relégation territoriale, de la marginalité sociale et du racisme ordinaire. En franchissant le Détroit ou en prenant place dans l’avion, un fort sentiment de déclassement social est à peine voilé. Les vacances, prennent fin. Synonymes de trêve éphémère et de réhabilitation, de courte durée, d’une image écornéepar l’érosion du temps, mais réconfortée, "circonstantiellement" , par le discours royal, en l’occurrence, celui d'aout 2015.

Pendant le séjour au pays des ancêtres, les MRE se livrent, bon gré mal gré, à des rituels insupportables, insoutenables et tragiques : les uns écœurés par le va et vient dans les couloirs sombres des administrations pour l’obtention d’un document  basique, les autres dans les tribunaux, les conservations foncières ou les banques pour obtenir une solution aux contentieux liés à l’acquisition d’un bien immobilier. D’autres, se donnent rendez-vous dans les cimetières pour se recueillir sur la tombe d’un parent décédé, donnant un spectacle déchirant. D’autres, font leurs valises après avoir été saturés et tartinés  par les problèmes familiaux ou par  les déchirements liés à l’héritage. D’autres, se font rapatrier par leur société d’assistance, suite à une panne, un accident de voiture ou suite à une survenance médicale imprévue. D’autres, terrorisés par le regard haineux et par les insultes pour le motif qu’ils sont des nantis par rapport à la misère environnante, en se faisant  traiter  de « zmagrias ». D’autres,  tiraillés entre les administrations marocaines et les autorités consulaires, des pays de la résidence représentées  au Maroc, suite à des pertes de papiers. D’autres, les jeunes filles en particulier, agacées par les agressions verbales, par le harcèlement  pesant en vue de propositions de mariages « blancs », arrangés ou, dans certains cas, forcés par des gens sans scrupules. D’autres trop déphasés, car ne parlant que peu l’arabe et subissant, de plein fouet le poids de la tradition et de l’ordre social; notamment au sujet de la tenue vestimentaire, des mœurs et de la rigueur religieuse ou puritaine dans les lieux publics.

Pendant la période estivale, le séjour des MRE au Maroc est également une aubaine pour les économies formelles ou informelles liées à leur présence massive et socialement ostentatoire. Le commerce, les services réalisent une grande partie de leurs chiffres d’affaires. En témoigne, l’excitation des bijoutiers, des traiteurs, des restaurateurs, des hôteliers occasionnels, des mécaniciens, des gardiens d’automobiles, des joutiya (bric à brac) qui regorgent de produits (…)  transportés par les véhicules  des « vacanciers » bordés par les fameuses bâches bleues. Les super marchés se frottent les mains. Les opérateurs de téléphonie mobile excellent par des offres ciblant cette niche, trop habituée aux bavardages et aux forfaits illimités…

En amont des vacances et en profitant du contexte d’une demande tendue, la compagnie aérienne pratique des tarifs prohibitifs, pénalisant les familles nombreuses et modestes expatriées qui, souvent renoncent au voyage faute de moyens. En fin de séjour, les aéroports, comme les ports sont pris d’assaut par des voyageurs déprimés, à l’idée de quitter un pays aussi envoûtant .

Bref, une véritable économie, à haute valeur ajoutée, se met en place pendant cette période. D’un côté, on enregistre un foisonnement économique  significatif, et d’un autre une tragédie humaine, entachée de mal être appelé « Mohajir devenu Mohajjar ».

En parallèle, les institutions de tutelle (Ministère des MRE, CCME, Fondation Hassan II) saisissent  cette fenêtre de tir et d’opportunité pour dérouler des programmes sur fond d’overdose  "communicationnelle"  et de boulimie pour  l’événementiel. La presse s’agite et cristallise les polémiques en rappelant, comme par enchantement, la place particulière des MRE sur le plan économique, stratégique et politique. Evidemment, l’occasion est trop belle et la fenêtre de tir est optimale pour remettre sur  table les débats houleux, fratricides et récurrents autour de la participation politique des MRE. Les associations, représentatives ou non, s’approprient le créneau et mobilisent les moyens modernes de communications  (internet, Youtube, Facebook) pour faire valoir leurs doléances. 

Bien, entendu, encore et toujours, tout le monde attend le discours du Trône: les uns pour s’y agripper bec et ongles, dans une transe patriotique, les autres pour tirer à boulets rouges sur les institutions et d' autres encore pour scander « vive le Roi, …le Roi a dit…, le Roi a rappelé…, le Roi a fixé… » . Chacun  plaide sa cause par une série de doléances, plus au moins, mal élaborées, mal hiérarchisées confondant, au passage, ce qui est purement politique avec ce qui relève de l’administration (ici et/ ou là-bas), ce qui est économique, ce qui est culturel, ce qui est identitaire et ce qui est religieux.

Au bout de la course, une fragmentation thématique se dessine dans le ciel orageux des associations des expatriés rajoutant la confusion à la confusion. Une multiplication d’institutions « MRistes »  dont personne ne sait exactement qui fait quoi (exécutive, représentative, consultative, administrative, distributive). Une juxtaposition de doléances, dont personne ne connait la véracité, la pertinence, la proportionnalité, la hiérarchie. Une inflation  associative dont personne ne peut certifier le niveau de représentativité et/ou de transparence. Une guerre larvée inter institutions  dont personne ne comprend les motivations, les instigateurs, ni à qui profite le crime. Un enlisement constitutionnel et politique dont personne n’est en capacité de proposer un texte consensuel, de définir les modalités, les quotas, le découpage, la faisabilité.  

En toile de fond, des énièmes diagnostics biaisés, bâclés ou orientés pour définir la matrice sociopolitique des MRE, dont personne , au demeurant, ne peut certifier le caractère scientifique, académique ou  objectif. Que de l’improvisation, de la posture, de la manipulation, et, au bout du compte, que de la « Com » modélisée par des technocrates ou politicards qui n’ont jamais vécu en immersion réelle et durable dans le monde complexe de l’expatriation.

Dr Youssef CHIHEB

Professeur-Associé  

Paris XIII-Sorbonne 

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